Ce que Guy Crevier, le président de La Presse, avait à me dire sur l'avenir des médias et La Presse+

Publié le 02/10/2015 à 15:10

Ce que Guy Crevier, le président de La Presse, avait à me dire sur l'avenir des médias et La Presse+

Publié le 02/10/2015 à 15:10

Julien Brault : Ma critique porte sur le pari sur la publicité. La réalité, c’est que l’attention des gens est de plus en plus fractionnée et ce sont des plateformes comme Facebook qui gagnent cette guerre, en faisant le plein d’attention à peu de frais. Facebook a une audience d’un milliard de personnes qui passent en moyenne 7-8 heures par mois [aux États-Unis] sur le site. On peut aussi penser à Tumblr ou à Medium, des plateformes qui n’ont pas de journalistes, mais qui rejoignent quand même une audience très vaste et qui a de la valeur.

Guy Crevier : Moi, la question que je te poserais là-dessus, c’est : «Est-ce que tu penses que 100 % des budgets de publicité vont aller sur ces plateformes-là ?» Je pense que c’est entre 60 et 70% des dépenses publicitaires qui vont aller là. Et moi, je veux être le champion du 30-40% qui reste. Je ne veux pas compétitionner ces gens-là. De toute façon, quand je vois le coût par mille (CPM) qu’ils facturent, c’est un coût que je ne suis pas capable de concurrencer. Ils ont des outils de recherche que je ne suis pas capable d’accoter et ils ont une audience de masse que je ne suis pas capable d’avoir. Si j’avais un CPM égal au leur, je serais capable de faire vivre une salle de nouvelles ici de 15 à 25 personnes. [Après les mises à pied annoncées, la salle de rédaction de La Presse devrait encore compter 283 personnes.]

Il faut que je vende un CPM plus élevé, et ma façon de le faire, c’est de vendre quelque chose de différent. Je rejoins les gens en moyenne 40 minutes par jour, je suis un média engageant, je suis un média mesurable et je rejoins une plus grande part des 25-44 ans que ce qu’ils représentent dans la société. En plus, je suis un média en croissance. Dimanche dernier seulement, il y a 1390 nouvelles tablettes qui se sont connectées à Montréal.

JB : Les ventes de tablettes sont en déclin, et le trafic issu des tablettes augmente beaucoup moins rapidement que celui issu des téléphones intelligents. Pendant ce temps, les 18-24 ans sont moins susceptibles d’avoir une tablette que leurs ainés. Est-ce que ça vous affecte ?

GC : Les smartphones, on les retrouve dans 57% des familles québécoises et la tablette, on la retrouve dans 50% d’entre elles selon le Cefrio. Les smartphones, pour atteindre 50% de la population, ça leur a pris 7 ans, et la tablette l’a fait en 3 ans. Moi, quand des éditeurs me posent cette question, je leur dis toujours la même chose. Si tu avais 50 % de tes abonnés qui avaient une petite imprimerie chez eux, et que tu pouvais toi leur envoyer un PDF, et qu’eux, ils pouvaient imprimer leur journal, serais-tu heureux ? C’est ça la tablette. Enlève les gens qui sont sur le bien-être social, les gens qui ne savent pas lire, les personnes âgées; quand tu as une pénétration de 50%, ça veut dire que ça doit être plus proche de 75% de la population active. Notre cible à nous, c’est les 25-54 ans. C’est dans cette tranche d’âge que se font la plupart des achats publicitaires. On veut être important pour les gens qui ont une première maison, un premier bébé, une première job importante.

JB : Je conçois que l’offre publicitaire de La Presse+ présente des avantages comparativement aux journaux papier, mais si regarde le retour sur investissement qu’on peut aller chercher avec Facebook ou avec les enchères en temps réel, il me semble que c’est une autre histoire. Présentement, ça marche, parce qu’il y a un marché pour la publicité papier et la publicité de prestige, mais il semble qu’à long terme, ce n’est pas un marché d’avenir. Vous vous démarquez avec vos 40 minutes par jour d’engagement, mais à long terme, la grande tendance semble être que les gens s’informent auprès de multiples sources durant des périodes de temps plus courtes. Et c’est sans compter que La Presse+ n’est pas optimisée pour les partages sur les médias sociaux.

GC : Je comprends pourquoi tu as écrit dans ce sens-là. C’est parce que toute ton approche, c’est de comparer La Presse+ avec Facebook.

JB : Il n’y a pas que Facebook. Je pourrais vous citer le New York Times.

GC : Le New York Times, leur avantage, c’est que 60% de leurs abonnés doivent mettre ça sur leur compte de dépenses. Ils sont dans la même situation que les médias spécialisés comme le Financial Time ou le Wall Street Journal. Mon abonnement pour le Wall Street Journal, c’est le bureau qui le paye et, si j’étais à la retraite, est-ce que je paierais pour le Wall Street Journal ? Peut-être. À part ces exceptions-là, la grande tendance, c’est que tous les grands journaux abandonnent le mur payant. Le mur payant du Toronto Star a été un échec, celui du San Francisco Chronicle aussi, et le Los Angeles Times, ils sont en train de l’abandonner. Les seuls qui sont capables de soutenir ça, ce sont les journaux qui offrent un contenu excessivement exclusif. Le New York Times, par exemple, a une salle de nouvelles de 1000 personnes. Ils ont des produits extrêmement exclusifs.

Cela dit, je ne peux pas me comparer à Facebook. Est-ce que je nie l’efficacité de la publicité sur Facebook ou sur les téléphones intelligents ? Pas du tout. Ils vont aller chercher probablement 60-70% du marché. Moi, je veux être le champion du 30-40 qui reste. Et j’ai un modèle d’affaires qui peut vivre de ça. Je pense que le mouvement de la gratuité en information est irréversible pour un journal comme La Presse. Regarde la nouvelle sur la rencontre entre Poutine et Obama, hier ; c’est intéressant, mais tu as tellement de médias gratuits sur lesquels tu peux suivre ça… Comment je ferais pour faire payer les gens pour lire là-dessus? Ça n’a pas de sens. Et si je veux rajeunir mon lectorat, il faut absolument que je sois gratuit. Parmi mes lecteurs, 75% des gens ont de 25 à 54 ans.

À propos de ce blogue

DE ZÉRO À UN MILLION est le blogue de Julien Brault, qui a fondé la start-up Hardbacon en juin 2016. L’ancien journaliste de Les Affaires relate ici chaque semaine comment il transforme une idée en entreprise. Dans ce blogue, Julien Brault dévoile notamment chaque semaine ses revenus. Une démarche sans précédent qui est cohérente avec les aspirations de Hardbacon, qui vise à aider les gens à investir intelligemment en faisant voler en éclat le tabou de l’argent. Ce blogue sera ainsi alimenté jusqu’à ce que Hardbacon, qui n’avait aucun revenu lors de la publication du premier billet, génère un million de dollars en revenu annuel.

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