Villes intelligentes, villes humaines

Offert par Les Affaires


Édition du 11 Juin 2016

Villes intelligentes, villes humaines

Offert par Les Affaires


Édition du 11 Juin 2016

À Copenhague, les jours de grand soleil dans une année se comptent sur les doigts de la main. Alors quand il fait beau, les Copenhaguois veulent en profiter au maximum. Les urbanistes de la capitale danoise l'ont compris et ont inventé... le trottoir intelligent. Du côté ensoleillé de la rue, le trottoir est presque quatre fois plus large que celui du côté ombragé, et il est agrémenté de bancs publics et d'un dallage décoratif.

Découvrez notre dossier Mission Villes intelligentes

Pas exactement la définition que vous vous faisiez de la ville intelligente ? Et pourtant, ce type d'innovation inspirée du simple bon sens fait partie du concept. Une ville intelligente, c'est une ville où il fait bon vivre. C'est ce que j'ai fini par comprendre lors de la Mission Villes intelligentes organisée la semaine dernière par mes collègues des Événements Les Affaires. Pendant une semaine, notre groupe d'une quinzaine de personnes, pour la plupart des représentants des municipalités du Québec, s'est baladé à Helsinki, à Copenhague et à Amsterdam.

Ces trois villes nordiques ont ceci en commun qu'elles connaissent une croissance très rapide de leur population. Copenhague, par exemple, gagne 1 000 habitants par mois. Helsinki, quant à elle, a des projets de construction pour les 20 à 30 prochaines années qui nécessiteront des investissements de plus de 5 milliards d'euros (environ 7,5 G$).

Comment s'assurer que la ville intègre tous ces nouveaux citoyens sans devenir invivable ?

«On pense la ville du point de vue de l'utilisateur», explique Ritva Viljanen, adjointe au maire, éducation et culture, à la Ville de Helsinki, précisant que la capitale finlandaise est au beau milieu de son plus grand projet de construction depuis sa fondation, au début du 16e siècle.

Helsinki s'apprête à créer le poste de Directeur du design de services (traduction libre). Pour que la Ville fasse les choses du point de vue de ses clients (les habitants) et non du point de vue de l'organisation, explique la politicienne.

«Avant, pour organiser un événement, il fallait remplir des dizaines de formulaires. Maintenant, un seul formulaire électronique suffit. Même la police l'accepte, illustre Saila Machéré, chef de l'unité marketing de la Ville de Helsinki. Un formulaire unique pour la création d'entreprises est en cours de développement.»

Et d'insister : «Il faut un service fluide. Les villes doivent prendre des décisions plus rapidement pour se démarquer auprès des entreprises qui veulent venir s'y installer».

« L’objectif est de rendre les villes faciles à vivre. La démarche est centrée sur les citoyens. Cela nécessite un agenda politique très fort. » – Steen Christiansen, maire de Albertslund, une petite municipalité de 28 000 habitants (et 600 entreprises) en banlieue de Copenhague. Le politicien sait de quoi il parle : il est aussi président du conseil du Greater Copenhagen, qui regroupe 46 municipalités danoises et 33 municipalités suédoises, soit 11 universités et 3,5 millions d’habitants.

La ville, un laboratoire

La ville intelligente fait donc les choses autrement pour mieux remplir ses fonctions auprès des citoyens, y compris les entreprises. Le plus souvent, cela passe par le développement de nouvelles technologies en mode agile, si bien qu'on assimile souvent la ville intelligente à la ville technologique.

Toutes les villes que nous avons visitées utilisent cette approche dans des laboratoires urbains, des living labs. En voici cinq.

Le jeune quartier Kalasatama est en pleine construction.

1. Kalasatama

Développée sur les anciens quais du port d'Helsinki, Kalasatama (fiksukalasatama.fi/en/) est une plateforme qui sert à tester des technologies propres afin d'implanter les plus efficaces dans le reste de la ville. Au coin des rues, on a installé des rangées de poubelles collectives, qui sont en fait des bouches d'aspirateurs qui engloutissent les détritus (préalablement triés) des résidents à la vitesse de 70 km/h.

Le thème central est l'énergie. Tous les bâtiments sont équipés de panneaux solaires et sont reliés au réseau électrique urbain, la smart grid. Dans le cadre de l'Agile Piloting Program, la Ville finance des tests technologiques à hauteur de 8 000 euros par projet.

Les abords de ce jeune quartier sont hérissés de grues, le bruit et la poussière sont omniprésents. Malgré ces travaux, 3 000 personnes y résident déjà. Des pionniers, selon Kari Pudas, directeur du développement urbain à Helsinki. «L'idée de la ville intelligente, c'est de faire en sorte que ce soit vivable tout en continuant de développer», explique-t-il. Pour atténuer les nuisances liées aux travaux en cours, la Ville a ouvert un bureau dans le quartier où elle organise chaque semaine des ateliers pour la population.

Les villes intelligentes sont plus vertes et plus accueillantes pour les êtres humains. Sur la Vester Voldgade, à Copenhague, le trottoir au soleil a été élargi.

2. Vester Voldgade

Notre délégation a visité Copenhague deux jours avant l'inauguration de ce que la Ville appelle, non sans fierté, le «premier quartier intelligent complet du monde». Il se compose de la Vester Voldgade, cette rue aux trottoirs asymétriques dont je vous parlais plus haut, et d'une artère parallèle, le boulevard Hans-Christian-Andersen, le plus passant et le plus pollué du Danemark. Le long de ces axes sont disposés des capteurs intelligents : selon le principe du fogging, ils analysent eux-mêmes les données plutôt que de les envoyer dans le nuage. Leurs fonctions : surveiller la qualité de l'air, afin d'anticiper les orages violents face auxquels la ville, encerclée d'eau, est très vulnérable ; optimiser le stationnement, les déplacements des (hordes de) cyclistes, ou encore la croissance des arbres. En effet, la ville intelligente est une ville verte. Surtout Copenhague, qui a l'ambition de devenir la première capitale carboneutre d'ici 2025.

3. Le DOLL, à Albertslund

Dans un parc industriel un peu défraîchi de la banlieue de Copenhague, à Albertslund, l'allure des lampadaires au bord des rues change tous les 200 mètres. «Nous avons testé jusqu'à présent 80 méthodes d'éclairage urbain différentes», indique Kim Brostrøm, directeur des technologies du DOLL (Danish outdoor lights lab).

Fondé il y a 18 mois grâce à des subventions du ministère de l'Énergie danois, de la région, des municipalités et de la Commission européenne, le DOLL est maintenant financé par les entreprises qui font des tests dans le quartier. Parmi les technologies évaluées, le li-fi, qui consiste à transmettre de l'information par la lumière visible, ce qui a l'avantage d'offrir une énorme bande passante.

Le DOLL suscite énormément d'intérêt dans le monde entier : «Les villes sont réellement des vecteurs d'innovation», souligne Kim Brostrøm.

4. Vuores

Présenté comme «une petite ville au milieu de la nature», Vuores, en banlieue de Tampere, une localité située à une heure au nord d'Helsinki, est un quartier qui compte nombre des attributs d'une ville intelligente. Tous ses habitants vivent à moins de 300 mètres d'un arrêt d'autobus ; on y trouve des logements sociaux, des logements à loyer abordable et des maisons détachées qui sont toutes autosuffisantes en énergie ; et les ordures sont acheminées vers un centre de traitement grâce à un réseau souterrain d'«aspirateurs».

5. L'Arena d'Amsterdam

Domicile de l'Ajax, l'aréna d'Amsterdam est plus qu'un stade de soccer. C'est aussi un living lab. «Un stade, c'est comme une ville miniature. Un bon laboratoire pour les entreprises, dit Sander van Stiphout, directeur d'Arena international, au sujet de ce stade de 53 000 sièges au toit rétractable (tiens, tiens...). Parmi les technologies qui y sont développées, le Mobility Portal, qui facilite l'accès au stade (achat de billets d'autobus, réservation de stationnement, etc.).

Outre ses avantages sur le plan de l'environnement et de la qualité de vie, le concept de ville intelligente sert évidemment des objectifs économiques. Tampere utilise ainsi le concept de ville intelligente pour négocier son virage économique. La fabrication de machinerie, autrefois sa force, est en déclin. Grâce aux efforts concertés de la Ville et de l'université, Tampere se présente maintenant comme un pôle en systèmes embarqués pour machinerie intelligente.

Et puis la transparence dont font preuve les villes intelligentes encourage à la discipline budgétaire. Ainsi, Timo Cantell, d'Helsinki Région Infoshare, explique que le système Ahjo, au moyen duquel le conseil municipal sans papier publie ses résolutions en ligne, facilite l'accès des citoyens aux décisions et permet d'épargner des centaines de milliers d'euros : «Les responsables de charges publiques font plus attention à leurs dépenses, d'où ces économies.»

Environ 10 % du million d’habitants dans la région de Helsinki utilisent le Journey Planner, une application qui permet de prévoir ses déplacements en transport en commun, estime Mika Vuorio, directeur, système de transport intelligent chez CGI Finlande. « On sait en continu où se trouve un autobus. Les données générées permettent de raffiner la planification des horaires. Toute la flotte de 250 autobus est branchée. »

« La ville a fait du meilleur choix le choix le plus facile. Infrastructure, infrastructure, infrastructure ! » martèle Morten Kabell, un des sept maires de Copenhague, responsable des affaires techniques et environnementales, dont le transport, le design ainsi que la planification urbaine.

Comme à Montréal, Helsinki peut se vanter d’être une ville intelligente, une ville de design, une ville culturelle et une ville de sport. Mais comme on ne peut pas tout être à la fois, la Ville a choisi de se définir à un niveau supérieur : « Notre marque, c’est une attitude : le courage et la passion qui permettent d’avoir un impact. La taille de la ville est humaine. Ici, il y a 25 heures au lieu de 24, ce qui est très important pour la jeunesse. Le résultat du brand : vous trouverez ici des gens et des organisations qui ont la passion de la création », explique Saila Machéré, responsable du marketing de la Ville d’Helsinki.

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Le Smart City Program d’Amsterdam a pu démarrer grâce à des fonds de la Commission européenne. « Mais l’objectif est de s’en détacher, explique Nina Tellegen, directrice de l’Amsterdam Economic Board. Parce que ça prend un employé à temps plein pour faire la paperasse, mais aussi parce que nous voulons que le programme s’appuie davantage sur la collectivité et le secteur privé, pour renforcer leur engagement. » Le Smart City Program a un budget annuel de 500 000 euros. Il n’investit pas dans des projets, ce sont ses partenaires qui le font.

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La confidentialité des données personnelles est un sujet chaud, au Québec comme en Europe du Nord. Les téléphones sont des capteurs, mais la loi empêche d’utiliser leurs données en temps réel, déplore Gerrit Schipper, pdg de Geodan Next International (gouver- nance et décision fondée sur les données), à Amsterdam. « Les lois sont dans nos pattes, mais il y a moyen de régler ça en rendant les données anonymes », prévoit-il.

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Le Forum Virium est une organisation qui favorise l’innovation en Finlande. Fondé par des promoteurs privés, il a été racheté par la Ville d’Helsinki en 2010, qui le finance à hauteur de 1 million d’euros par année sur un budget de 4 millions d’euros. Le Forum compte plusieurs entreprises privées parmi ses membres, telles que Siemens et IBM. La loi ne permet pas que celles-ci financent le Forum, mais elles pilotent certains projets ou fournissent des outils technologiques.

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Julie Cailliau 
Rédactrice en chef
julie.cailliau@tc.tc

Suivez Julie Cailliau sur Twitter @julie140c

À propos de ce blogue

Julie Cailliau est éditrice adjointe et rédactrice en chef du Groupe Les Affaires, dont l’équipe de journalistes chevronnés publie le journal Les Affaires, le site lesaffaires.com et le magazine Les Affaires Plus. Elle est également présidente du conseil d’administration de la Fondation des prix pour les médias canadiens. Diplômée de l’École supérieure de journalisme de Lille, en France, Julie a pratiqué le métier de journaliste au sein de plusieurs publications françaises et québécoises. Dans une vie précédente, elle a œuvré à titre d’ingénieure en biotechnologies. Son « why », c’est d’apprendre et d’informer afin de nous permettre de faire les bons choix. La prise de conscience de l’urgence environnementale et l’émergence de l’entrepreneuriat social comptent pour elle parmi les tendances les plus réjouissantes actuellement.