Les petites mains


Édition du 05 Mai 2018

Les petites mains


Édition du 05 Mai 2018

[Photo: 123rf]

Il faut parfois fouiller longtemps avant de comprendre où le bât blesse. Puis, d'autres fois, ça vous saute au visage.

Début mars, je me trouvais dans un immeuble de la rue Chabanel, à Montréal, dans le fameux quartier de la guenille. Un bâtiment autrefois grand atelier textile, aujourd'hui havre pour plusieurs PME du secteur de la mode. J'y étais pour rencontrer un certain détaillant de maroquinerie végane. En quittant ses bureaux, dans le couloir bétonné et silencieux où se succédaient des portes noires, sans fioritures, flanquées d'un simple écriteau pour désigner son locataire, j'ai croisé nulle autre que la designer Marie St-Pierre. Enfin, c'est ce que je croyais. « Ça me fait plaisir de vous croiser, Mme St-Pierre ! » « Je ne suis pas Marie, je suis sa soeur », me répond-elle. Magnanime malgré ma méprise, Danielle Charest a consenti à discuter avec moi sur le chemin des ascenseurs. Alors que nous ne nous connaissions pas la minute d'avant, en trois phrases, max, tout était dit : la PME manque de petites mains. Il n'y a pas à chercher ailleurs. Son enjeu, the enjeu, c'est la main-d'oeuvre.

La Maison Marie Saint Pierre, m'a expliqué Mme Charest, a pris le parti de former elle-même ses couturières, un métier qui a frôlé l'extinction à cause de l'érosion de l'industrie de la mode de la fin du XXe siècle, sous les coups de la mondialisation.

Aujourd'hui, le secteur connaît un nouvel essor et sa grappe Mmode est sur le qui-vive. « Si trois avions de 200 passagers chacun atterrissaient aujourd'hui à Montréal, nous pourrions tous les embaucher demain matin », déclarait sa directrice générale Debbie Zakaib, fin avril, à notre journaliste Martin Jolicoeur.

La production de vêtements rentre au pays. Ce retour du balancier est amorcé depuis plusieurs années et on a eu le temps de voir venir la pénurie de main-d'oeuvre. Malgré tout, les appels à plus de formation, plus de planification sont restés vains. La pénurie s'accentue. Le 20 mars, Vêtement Québec publiait un communiqué intitulé « Des centaines d'emplois passionnants à pourvoir dans l'industrie de la mode, du vêtement et du textile », un titre quasiment identique à celui du communiqué émis un an plus tôt, le 22 mars 2017.

Ce mouvement de reshoring, le rapatriement des activités manufacturières, n'est pas unique à l'industrie de la mode. On l'observe dans de nombreux secteurs en Amérique du Nord. À bien des égards, tant mieux. D'après l'analyse de la firme Deloitte, que nous rapporte notre journaliste François Normand à la une du journal, il y aurait jusqu'à 9 milliards de dollars de plus au PIB québécois si on remplaçait nos importations par des produits manufacturés ici.

Une belle perspective, mais aura-t-on assez de bras, et de petites mains, pour les fabriquer ? Démographie oblige, on sait déjà que non.

Julie Cailliau
Rédactrice en chef, Groupe Les Affaires
julie.cailliau@tc.tc

À propos de ce blogue

Julie Cailliau est éditrice adjointe et rédactrice en chef du Groupe Les Affaires, dont l’équipe de journalistes chevronnés publie le journal Les Affaires, le site lesaffaires.com et le magazine Les Affaires Plus. Elle est également présidente du conseil d’administration de la Fondation des prix pour les médias canadiens. Diplômée de l’École supérieure de journalisme de Lille, en France, Julie a pratiqué le métier de journaliste au sein de plusieurs publications françaises et québécoises. Dans une vie précédente, elle a œuvré à titre d’ingénieure en biotechnologies. Son « why », c’est d’apprendre et d’informer afin de nous permettre de faire les bons choix. La prise de conscience de l’urgence environnementale et l’émergence de l’entrepreneuriat social comptent pour elle parmi les tendances les plus réjouissantes actuellement.