Une Banque de développement autochtone se dessine à l’horizon

Publié le 16/01/2023 à 12:00

Une Banque de développement autochtone se dessine à l’horizon

Publié le 16/01/2023 à 12:00

Photo : Kelly Sikkema pour Unsplash.com

BLOGUE INVITÉ. La création d’une Banque de développement autochtone est une idée qui commence à germer et qui pourrait grandement aider les entrepreneurs des Premières Nations.

Le sous-financement des entreprises autochtones au Canada est bien connu et les raisons qui l’expliquent aussi. La Commission royale sur les peuples autochtones (1996), la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (2007) et la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015) ont toutes trois clairement identifié l’accès au capital comme étant un élément incontournable de la réconciliation économique des autochtones avec le reste du Canada.

En 2017, Waterstone Strategies a estimé que les entreprises autochtones accédaient à seulement 0,2 % du crédit disponible au Canada, soit 11 fois moins que la plupart des entreprises canadiennes comparables. L’enquête concluait que le manque d’accès au marché des capitaux condamnait la majorité de ces entreprises à demeurer au stade de microentreprise et compromettait le développement de projets majeurs dans les communautés autochtones.

Avant la création de la Société de crédit commercial autochtone (SOCCA) en 1992, spécialisée dans le financement des entrepreneurs autochtones au Québec, une étude préalable avait été réalisée avec l’objectif de comparer le profil d’une centaine d’entreprises opérant au sein d’une Première Nation avec le profil moyen d’entreprises canadiennes de secteurs comparables établi à partir de données compilées par la firme Dunn & Bradstreet. Les conclusions de cette étude étaient sans équivoque. Les entreprises autochtones avaient une taille beaucoup plus petite, faisaient peu appel à la dette, embauchaient moins d’employés et affichaient une rentabilité inférieure. Par suite du dépôt de l’étude, le Gouvernement fédéral accepta de capitaliser et de faire naître SOCCA.

Une situation qui s’améliore, mais…

Sur une note plus positive, on peut tout de même affirmer que la situation s’est améliorée au fil des 30 dernières années avec notamment la consolidation du réseau des organismes membres de l’Association nationale des sociétés autochtones de financement du Canada (ANSAF). De plus, certaines grandes institutions financières ont mis sur pied diverses initiatives ciblant les autochtones. Entre autres, on peut mentionner la contribution de la BDC qui offre un programme adapté aux entrepreneurs autochtones de même que sa participation dans le Fonds de croissance autochtone, en partenariat avec l’ANSAF, Financement agricole Canada, Exportation et développement Canada et le gouvernement fédéral. Du côté du Québec, la Caisse de dépôt et placement a lancé le fonds Équité 253 . Ceci ouvre la voie à des investissements pouvant aller jusqu’à 30 M$ dans des entreprises déterminées à accroître la diversité et l’inclusion. À cela s’ajoute la contribution de quelques autres fonds privés qui ont montré de l’intérêt à faire le pont entre des investisseurs institutionnels et les besoins financiers des entrepreneurs autochtones.

Bien que l’on aille dans la bonne direction, les solutions de financement actuelles sont nettement insuffisantes afin de répondre à la demande totale de capital à des fins commerciales qui se situe autour de 100 milliards $ selon les plus récents chiffres diffusés par le Conseil national de développement économique autochtone. Les programmes existants sont un peu comme des cylindres de plongée, l’oxygène est limité et impose donc des limites vites atteintes. Il faut donc aller encore plus loin.

Vers une Banque de développement autochtone

Actuellement, la lacune la plus critique en matière de financement alternatif concerne les prêts aux entreprises de moyenne et grande valeur accordés aux entrepreneurs individuels. Sans ces prêts, les entrepreneurs autochtones opérant dans les territoires où la Loi sur les Indiens s’applique n’ont aucun espoir de voir leur entreprise prendre de l’expansion. Ça prend donc une solution.

Une vingtaine d’organisations autochtones nationales à vocation économique, dont l’ANSAF et le Conseil en gestion financière des Premières Nations, ont lancé en avril 2022 la Stratégie économique nationale pour les Autochtones au Canada. Dans ce document, la création d’une Banque de développement autochtone (BDA) est proposée.

En effet, les banques publiques de développement jouent un rôle important lorsqu’il y a des limitations dans les marchés des capitaux traditionnels qui ont pour effet de priver de bonnes entreprises du financement nécessaire à leur développement.  La Banque asiatique de développement constitue un excellent exemple des effets positifs que puissent avoir les banques de développement. De nombreux pays asiatiques sont sortis de l’extrême pauvreté et ont fait progresser leur économie à un rythme rapide.

La BDA serait conçue de manière à répondre au cadre de régime foncier unique et aux besoins économiques des autochtones. Cette nouvelle institution permettrait aussi d’éviter tout le processus bureaucratique qui limite l’accès des autochtones au système bancaire traditionnel. Il ne serait pas exclu toutefois que la BDA puisse travailler en partenariat avec les banques commerciales pour financer des projets requérant des prêts très importants, ce qui pourrait par ailleurs nécessiter des garanties de prêts de la part du fédéral ou des provinces.

La BDA devrait être établie en tant que banque de développement en vertu de la législation fédérale. Dans le contexte actuel de la réconciliation avec les peuples autochtones et en vertu de leurs engagements, les gouvernements fédéral et provinciaux devraient être les premiers investisseurs dans la BDA. De plus, avec le développement en vitesse grand V des normes ESG, les investisseurs soucieux d’y souscrire pourraient aussi avoir beaucoup d’appétit pour investir leur capital dans la BDA. Disons enfin que la BDA pourrait également servir à financer les immenses besoins en infrastructures des Premières Nations.

Puisque nous sommes maintenant rendus à une autre étape dans le dossier du financement des entreprises autochtones, il faut trouver des solutions plus robustes. Bien qu’il reste beaucoup de travail à faire, la piste de la BDA s’avère une solution d’avenir que les financiers autochtones considèrent sérieusement. Cela pourrait arriver plus vite qu’on le pense.

 

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Jean Vincent, CSM, FCPA, FCA, GFAA (Québec) est président du conseil d’administration de la Société de crédit commercial autochtone (SOCCA). La société offre du financement commercial à des entreprises autochtones en phase de démarrage ou en expansion. Jean Vincent est aussi président du conseil d’administration de la Société d’épargne des Autochtones du Canada (SÉDAC). Cette société offre aux Autochtones des produits d’épargne et des prêts dans les secteurs immobilier, institutionnel et commercial. Jean Vincent a été vice-grand chef de la Nation huronne-wendat de 2008 à 2018. Il a participé à la création de la National Aboriginal Capital Corporations Association (NACCA) dont il est l’actuel président. Il a également été membre fondateur de l’Association des agents financiers autochtones du Canada et vice-président de son conseil d’administration. En début de carrière, il a travaillé pour la Banque Nationale du Canada et pour le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada. Jean Vincent a un brevet de pilote et il est membre de l’Association canadienne des propriétaires et pilotes d’aéronefs.

Jean Vincent
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