Une politique bioalimentaire muselée par la réglementation


Édition du 21 Avril 2018

Une politique bioalimentaire muselée par la réglementation


Édition du 21 Avril 2018

Autre effet pervers, parce que le prix du lait coûte plus cher pour les transformateurs comme ­Saputo et ­Agropur, ­ces sociétés ne peuvent vendre leurs produits à l’étranger. C’est ce qui explique que ­celles-ci doivent s’implanter à l’étranger pour se développer. [Photo: Pixabay]

Beaucoup d'espoirs sont fondés dans la politique bioalimentaire que vient d'annoncer le gouvernement du Québec. Les objectifs sont louables, mais les moyens sont limités. Il faudra compter sur le dynamisme des entreprises agricoles et les milieux liés à l'alimentation pour obtenir les résultats espérés.

Cette politique comprend quatre grandes orientations : 1. Diversifier l'offre de produits pour les consommateurs d'ici et de l'étranger en améliorant leur qualité, en les valorisant et en les faisant mieux connaître ; 2. Appuyer le développement et l'efficacité des entreprises en les encourageant à investir dans leurs infrastructures de production et de transformation, l'innovation, le développement des compétences, la recherche et les chaînes de valeur ; 3. Rendre les entreprises plus attrayantes pour la main-d'oeuvre et plus soucieuses de la santé, de la sécurité, de la protection de l'environnement et du bien-être animal ; 4. Valoriser les territoires agricoles en les protégeant, en les pérennisant et en mettant en valeur leurs spécificités.

Les sommes consacrées aux intitiatives qui soutiendront ces objectifs sont plutôt modestes : 349 millions de dollars en cinq ans. Or, comme le budget du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ) n'a pas connu d'augmentation pendant quelques années, force est d'admettre qu'une partie de ces nouveaux crédits constitue une forme de rattrapage.

Selon le gouvernement, cet appui devrait permettre à l'industrie d'investir 15 milliards de dollars d'ici cinq ans, d'accroître les exportations bioalimentaires de 6 G$, d'ajouter 10 G$ dans de contenu québécois dans nos assiettes, de doubler à 90 000 hectares les superficies de production biologique et d'améliorer la valeur nutritive des aliments transformés au Québec.

Ces résultats sont peut-être optimistes, mais on peut penser qu'ils seraient bien supérieurs si cette politique était accompagnée d'une certaine déréglementation des pratiques de l'industrie agricole, comme l'avait recommandé il y a dix ans le rapport Pronovost, du nom de Jean Pronovost, président de la commission qu'il a présidée sur l'avenir de l'agriculture québécoise.

L'essentiel de ce rapport a été oublié, car il mettait en cause le monopole de l'UPA, l'intouchable et puissant syndicat des producteurs agricoles, qui a autant d'influence que le MAPAQ sur la gouvernance de l'agriculture au Québec.

Monopole funeste de l'UPA

Comme il faut faire un minimum de production et être membre de l'UPA pour obtenir un remboursement de taxes foncières et d'autres avantages financiers du gouvernement, tout producteur agricole qui veut en bénéficier doit payer une cotisation à l'UPA. Ce privilège historique a été accordé par le premier ministre Jacques Parizeau en 1995 peu avant la tenue du référendum, dans le but d'acheter des appuis à la souveraineté parmi les agriculteurs.

Fervent défenseur du système canadien de gestion de l'offre, qui couvre les productions de lait, d'oeufs et de volaille et qui freine le développement de l'agriculture artisanale (ainsi, tout le lait produit au Québec doit être vendu à la Fédération des producteurs de lait, qui le revend aux laiteries et aux fromageries ; aucun propriétaire ne peut avoir plus de 99 poules sans payer une cotisation à l'UPA ; de même, aucun producteur acéricole ne peut vendre ses produits à une entreprises commerciale), ce monopole syndical est une sorte de carcan, brimant les innovations dont seraient capables les petits producteurs.

Le rapport Pronovost avait formulé plusieurs propositions pour décrisper la production agricole, la rendre plus agile, encourager l'innovation, accroître l'efficacité des fermes et rendre plus accessible à la production artisanale le soutien financier de l'État.

L'aide financière de l'État est structurée de façon à aider surtout les plus importants producteurs, ceux, par exemple, qui ont les moyens de payer une fortune pour acheter des droits de production (quotas) de lait, ce qui n'est accessible à aucun petit producteur. Évidemment, ce prix fait monter le coût du lait, lequel est géré par la Régie des marchés agricoles, qui impose un prix minimum aux consommateurs. C'est ainsi que le lait coûte plus cher au Canada qu'aux États-Unis. Idem pour les oeufs et les poulets.

S'ajoutent au contingentement de certaines productions des droits de douane et des quotas sur les produits importés, notamment dans le cas des fromages, qui coûtent ainsi plus cher.

Autre effet pervers, parce que le prix du lait coûte plus cher pour les transformateurs comme Saputo et Agropur, ces sociétés ne peuvent vendre leurs produits à l'étranger. C'est ce qui explique que celles-ci doivent s'implanter à l'étranger pour se développer.

C'est le ministre Laurent Lessard qui a reçu et mis de côté le rapport Pronovost en février 2008. Dix ans plus tard, il vient de publier la nouvelle politique bioalimentaire de son gouvernement. Pas étonnant que celle-ci ne s'attaque pas aux entraves qui bloquent l'explosion de l'innovation dans la production, la transformation et la commercialisation de notre indutrie bioalimentaire.

 

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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