Un budget audacieux qui marque un virage


Édition du 02 Avril 2016

Un budget audacieux qui marque un virage


Édition du 02 Avril 2016

Le budget du ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, ne contient pas de surprise quant aux mesures annoncées. Il donne suite en effet à de nombreux engagements pris par Justin Trudeau lors de la campagne qui a porté son parti au pouvoir.

Le Parti libéral respecte ses promesses. Toutefois, M. Trudeau n'avait pas prévu l'ampleur des déficits qui marqueront les prochains budgets de son gouvernement. Les déficits de 10 milliards de dollars qu'il avait anticipés pour les prochaines années et le retour à l'équilibre budgétaire dans quatre ans sont à oublier. On annonce maintenant des déficits de 29,4 G$ pour 2016-2017, puis de 29 G$, 22,8 G$, 17,7 G$ et 14,3 G$ pour les quatre années suivantes. Pire, le ministre Morneau ne dévoile aucun plan de retour à l'équilibre.

Ces déficits sont toutefois acceptables, puisqu'ils affecteront peu le ratio de la dette sur le PIB, qui passera de 31,2 % en mars 2016 à 32,5 %, 32,4 %, 32,1 %, 31,6 % et 30,9 % au cours des années suivantes. Mais il ne faudrait pas qu'une récession survienne. Le fédéral a perdu de sa marge de manoeuvre avec la baisse de 2 points de la TPS décidée par l'ancien premier ministre conservateur, Stephen Harper, ce qui prive l'État de 14 G$ par année.

À la défense de M. Trudeau, reconnaissons toutefois que l'effondrement du prix des ressources n'avait pas été anticipé à ce degré. De plus, on voit aujourd'hui à quel point la promesse d'un déficit zéro par Stephen Harper et le chef du NPD, Thomas Mulcair, était trompeuse.

Mais ce ne sont pas les déficits, aussi élevés soient-ils, qui marquent le virage que l'équipe libérale fait prendre au Canada. Même s'il n'a pas dédaigné d'offrir occasionnellement des bonbons aux électeurs, Stephen Harper avait surtout misé sur des mesures dirigées vers les entreprises (forte baisse de l'impôt sur les profits) et les contribuables aisés pour dynamiser l'économie canadienne (création du CELI, dont la contribution maximale annuelle a été portée à 10 000 $, fractionnement du revenu des familles avec enfants, promesse de créer un crédit d'impôt permanent à la rénovation pour les 69 % des ménages qui sont propriétaires, etc.).

Programme social-démocrate

Le gouvernement Trudeau renverse cette tendance. Il a déjà réduit de 22 % à 20,5 % le taux d'impôt sur les revenus imposables de 45 282 $ à 90 563 $ et a porté de 29 % à 33 % le taux d'impôt sur les revenus imposables de 200 000 $ et plus (coût net de 1,5 G$ pour le gouvernement). Il a ramené à 5 500 $ le plafond du CELI et éliminera le fractionnement des revenus des familles de la classe moyenne. Il remplacera la prestation universelle pour enfants par une allocation canadienne pour enfants non imposable, dont les montants croîtront avec le nombre d'enfants et diminueront avec le revenu des parents (coût : 3,4 G$).

Les communautés autochtones recevront 8,4 G$ de plus en cinq ans. Le supplément de revenu garanti des personnes âgées à faible revenu sera haussé d'une somme pouvant atteindre 947 $ par année. L'assurance emploi sera améliorée : délai de carence porté de deux à une semaine ; augmentation de 45 à 70 semaines du plafond de la prestation dans certaines régions ; aide accrue et simplification des exigences lors de la recherche d'un emploi. Les contributions des employeurs et des employés seront haussées pour absorber le coût de ces changements.

Ces mesures et beaucoup d'autres auront trois effets principaux : un accroissement du pouvoir d'achat des moins riches ; une croissance du PIB ; et un partage plus équitable de la richesse.

Depuis 30 ans, le revenu familial réel de la tranche inférieure de 90 % de l'ensemble des contribuables s'est accru de moins de 1 % par année, alors que celui de la tranche supérieure de 1 % a augmenté de 1,7 %, celui de la tranche supérieure de 0,1 % a monté de 2,5 %, et celui de la tranche supérieure de 0,01 % a grimpé de plus de 3 %. On peut certes s'inquiéter de la hausse des déficits à venir, mais force est d'admettre que le Canada est devenu une société moins équitable qu'elle ne l'était.

Sur le plan politique, la signature sociale-démocrate du budget déplace le Parti libéral un peu plus à gauche, ce qui pourrait forcer le NPD à se redéfinir.

Des centaines de millions pour l'innovation

Le budget de Bill Morneau se distingue aussi par son soutien à la science et à l'innovation. On veut investir 800 millions de dollars en quatre ans dans des réseaux et des grappes d'innovation, dont le programme reste à préciser. La recherche en génomique recevra 237 M$ en quatre ans ; l'Institut national d'optique de Québec et l'Institut Périmètre de physique théorique obtiendront chacun 50 M$ en cinq ans ; l'Inforoute Santé du Canada, 50 M$ sur deux ans ; le Partenariat canadien contre le cancer, 47,5 M$ par année, etc.

Le programme d'infrastructures de 120 G$ en 10 ans a été confirmé. Les déboursés croîtront avec la détermination des projets les plus porteurs en transport collectif, en développement durable et en équipements sociaux (logement abordable, installations communautaires dans les réserves, etc.). Ottawa compte payer 50 % du coût des projets, ce qui veut dire que l'apport des provinces et des municipalités pourrait atteindre 120 G$ sur la même période.

Bref, un budget audacieux, innovateur et risqué sur le plan fiscal.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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