Réforme fiscale : Ottawa ne doit pas décourager la prise de risque


Édition du 30 Septembre 2017

Réforme fiscale : Ottawa ne doit pas décourager la prise de risque


Édition du 30 Septembre 2017

Le ministre des Finances du Canada, Bill Morneau, a fait preuve d'audace en se lançant dans une réforme de la fiscalité des professionnels et des entrepreneurs.

C'est un enjeu auquel l'ancien ministre des Finances conservateur, Jim Flaherty, avait refusé de s'attaquer à deux reprises. Il faut dire que cette réforme correspond mieux à la philosophie libérale de favoriser davantage la classe moyenne qu'aux valeurs du Parti conservateur. Le gouvernement Harper avait plutôt autorisé le fractionnement du revenu de travail des contribuables, une mesure favorable aux familles riches, que le gouvernement Trudeau avait abolie dans son premier budget.

La réforme de Bill Morneau vise à faire payer le même impôt par un entrepreneur, un professionnel et un salarié qui gagnent le même revenu. En se dotant d'une entreprise pour y déposer leurs revenus, les entrepreneurs et les professionnels bénéficient d'avantages fiscaux qui ne sont pas accessibles aux salariés : les revenus nets de l'entreprise créée à des fins fiscales sont imposés à un taux inférieur à celui qui est exigé sur un salaire ; les entrepreneurs et les professionnels peuvent se verser des dividendes dont le taux d'impôt est inférieur à celui d'un salaire ; leur entreprise peut accumuler des placements dits passifs qui, à leur liquidation, généreront un gain en capital dont le traitement fiscal est plus favorable que celui du salaire. Enfin, une autre façon pour les entrepreneurs et les professionnels de réduire leur facture fiscale est de faire payer par leur entreprise un salaire aux membres de leur famille, même s'ils n'y sont pas employés. Quelque 50 000 ménages utilisent cette stratégie, qui prive l'État de 250 millions de dollars par année.

Une des principales raisons du gouvernement Trudeau d'intervenir dans ce champ miné est l'explosion du nombre d'incorporations de sociétés de services professionnels, qui a triplé depuis 15 ans. Or, le niveau de risque d'entreprise de ces sociétés est beaucoup plus faible que celui du propriétaire d'une entreprise industrielle, dont les revenus sont incertains et qui emploie des salariés. Dans certains secteurs, le nombre de travailleurs autonomes qui ont créé leur société a presque doublé en 15 ans. C'est le cas de certains professionnels, notamment des médecins, qui sont en majorité payés par l'État et qui ne risquent pas de manquer de clients.

Équitable et incitatif

Il n'est certes pas facile de concevoir un régime fiscal qui soit vraiment équitable et qui encourage l'investissement et la prise de risque par nos entrepreneurs. De plus, notre régime fiscal doit être concurrentiel par rapport à ceux des pays voisins, afin de décourager l'émigration et les sorties de capitaux et d'encourager plutôt l'immigration et l'investissement étranger chez nous. Notre régime fiscal répond assez bien à ces objectifs.

Sur le plan de l'équité, il importe de décourager l'évitement d'impôt résultant des incorporations d'entités qui n'ont pas de risque d'entreprise et qui sont créées dans le seul but de réduire l'impôt à payer. De même, les placements passifs en entreprise, qui sont faits pour éviter l'impôt et qui découragent l'investissement dans l'appareil de production, commandent également un examen par l'État. Les revenus de placements passifs imposables gagnés par les sociétés privées sont passés de 8,6 milliards de dollars (G$) en 2002 à 26,8 G$ en 2015.

Par contre, il importe que notre régime fiscal accorde de la souplesse aux entrepreneurs qui investissent et qui prennent des risques financiers en raison de leurs activités industrielles (fabrication, agriculture, distribution, vente au détail, technologies), des immobilisations de leur société, du niveau de financement de celle-ci et de la masse salariale qu'elle soutient.

Les entrepreneurs sont des vecteurs de développement et de prospérité essentiels à la société. Non seulement ils innovent, lancent de nouveaux produits et services, inventent des façons de faire, découvrent de nouveaux marchés, accroissent notre compétitivité et créent des emplois, mais, par-dessus tout, ils créent de la richesse pour la société et pour l'État, qui peut la redistribuer en fonction de ses missions et au bénéfice du plus grand nombre.

Il est de la responsabilité de l'État de voir à ce que son régime fiscal soit équitable, incitatif à la prise de risque et défavorable à l'évitement d'impôt. Tels sont les principes visés par le gouvernement Trudeau.

La consultation menée par le ministre Morneau a permis de voir à quel point il est difficile de toucher à des acquis, même si le gouvernement s'est engagé à ne pas légiférer rétroactivement et à ne pas exiger de remboursements pour les mesures d'évitement déjà prises.

S'étant fait élire sur l'engagement d'en faire davantage pour la classe moyenne, le gouvernement Trudeau peut agir en toute légitimité pour rendre notre régime fiscal plus équitable et réduire les échappatoires. Cependant, il doit aussi s'assurer que sa réforme ne décourage pas l'investissement et la prise de risque par les véritables entrepreneurs.

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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