Recul à prévoir des stratégies d'évitement fiscal


Édition du 10 Septembre 2016

Recul à prévoir des stratégies d'évitement fiscal


Édition du 10 Septembre 2016

La décision de la Commission européenne (CE) d'obliger Apple à payer 13 milliards d'euros (19 G$ CA) à l'État irlandais devrait amener les multinationales à revoir leurs stratégies d'évitement fiscal.

Après 48 heures d'hésitation, le gouvernement irlandais a décidé d'en appeler de cette décision, malgré le voeu de nombreux contribuables d'encaisser ce magot, qui équivaut au budget des dépenses de santé de l'État. En même temps, le gouvernement s'est engagé à revoir sa politique fiscale, à être plus transparent et à collaborer avec la CE. Des députés ont profité de la situation pour dénoncer les privilèges fiscaux consentis à Apple.

D'après son président, Tim Cook, Apple a payé 400 millions de dollars américains à l'Irlande l'an dernier, soit autant qu'aux États-Unis, mais il n'a pas précisé ce que comprenaient ces 400 M$ US (impôt ou autres contributions).

La CE, qui a reçu l'appui de la France et de l'Allemagne, juge que l'aide fiscale consentie à Apple par l'Irlande est «illégale». Alors que le gouvernement affiche un taux d'imposition de 12,5 % sur les bénéfices des sociétés, il consent des allègements et des congés de taxe pour inciter des multinationales à établir en Irlande les sièges sociaux de leurs activités européennes. Selon la CE, le taux d'impôt effectif payé à l'État sur les bénéfices réalisés sur les produits vendus à partir de l'Irlande dans l'ensemble des pays européens est passé de 1 % en 2003 à 0,005 % en 2014, période pour laquelle l'impôt évité a totalisé 19 G$ US, intérêts inclus. C'est en établissant les prix de transferts de leurs produits d'un pays à un autre selon l'apport de chacun à ces produits (conception et design, fabrication de composants, assemblage, marketing, distribution, etc.) que les multinationales déterminent le ou les pays où seront réalisés les bénéfices.

Les congés fiscaux consentis par l'Irlande ont favorisé l'établissement dans le pays de 700 sièges sociaux de multinationales. Pour Dublin, les retombées résultant des 140 000 emplois, des immobilisations et des dépenses de ces sociétés ont toujours été vues comme plus avantageuses que l'aide fiscale accordée.

Une plaie pour l'économie mondiale

Les bénéfices non rapatriés et cachés dans des paradis fiscaux sont une véritable plaie pour les finances des États. D'après l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le manque à gagner pour les États pourrait représenter de 4 à 10 % de l'impôt total dû par les sociétés, soit une somme annuelle variant de 100 à 240 G$ US à l'échelle mondiale.

Selon des estimations de l'organisme Citizens for Tax Justice, les 500 plus importantes multinationales américaines avaient à l'étranger à la fin de 2015 des bénéfices non rapatriés accumulés totalisant 2 400 G$ US, sur lesquels les impôts dus au trésor américain s'élevaient à 695 G$ US. Cela s'explique par une disposition de la loi américaine sur l'impôt qui permet aux sociétés de reporter l'impôt sur les profits réalisés à l'étranger, et non rapatriés aux États-Unis.

Apple arrive en tête de ce palmarès avec 215 G$ US de profits non rapatriés. Elle est suivie par des sociétés pharmaceutiques (Pfizer, Gilead, Medtronic, etc.), technologiques (Microsoft, Google, IBM, Oracle, Cisco, etc.) et financières (Goldman Sachs, JP Morgan, etc.).

Le taux d'impôt du gouvernement fédéral américain sur les bénéfices, qui est de 35 %, a un effet dissuasif très important sur le rapatriement des profits. Tim Cook a déjà dit qu'Apple ne le ferait pas à ce taux, mais il vient d'indiquer que sa société pourrait en rapatrier l'an prochain. Il se pourrait qu'une forte proportion de cette montagne d'impôts différés ne revienne pas aux États-Unis. Conscient du problème créé par cet immense manque à gagner, le président Barack Obama a proposé aux sociétés de rapatrier d'un coup et à un taux réduit leurs bénéfices placés à l'étranger. Pour leur part, des républicains ont proposé de les imposer à un taux aussi bas que 5 %.

Les choses bougent davantage en Europe. La France veut récupérer tous les impôts évités par les multinationales. Elle a ainsi perçu 3,3 M d'euros en arrérages d'impôts et en pénalités en 2015. Une facture de 300 M d'euros a été envoyée récemment à McDonald's, et Google fait l'objet d'une enquête. Au Royaume-Uni, Google s'est entendu à l'amiable avec le gouvernement pour payer 130 M de livres (225 M$ CA). La CE a aussi imposé des paiements de 30 M d'euros chacun à Starbucks aux Pays-Bas et à Fiat au Luxembourg. En janvier dernier, 35 sociétés, dont AB InBev et BP, ont été condamnées à payer 700 M d'euros. McDonald's et Amazon font l'objet d'une enquête pour l'aide reçue du Luxembourg.

Plus de 60 pays participent travaux du Comité des affaires fiscales de l'OCDE portant sur le projet BEPS (Base erosion and profit shifting). Ce comité propose 15 mesures visant à contrer l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices vers des pays où une entreprise n'exerce pas d'activité réelle.

Cette démarche concertée était essentielle. Il faut maintenant souhaiter que l'ensemble des pays participants passent à l'action.

J'aime

À la suite de l'étonnant cafouillage survenu lors de l'autorisation de la vente en 2014 d'un important bloc d'actions de Rona détenues par Investissement Québec (IQ), la ministre de l'Économie, Dominique Anglade, a promis d'établir des règles qui clarifieront les rôles respectifs du ministre responsable et du conseil d'administration d'IQ lors de décisions sur des enjeux d'importance stratégique.

Je n'aime pas

Alors qu'une loi a réduit de 11 à 7 le nombre de représentants de la FTQ au conseil d'administration du Fonds de solidarité, la FTQ cherche à faire élire des membres de ses syndicats pour les quatre postes qui sont pourvus par un appel public. Le CA comprend aussi le pdg du Fonds et sept administrateurs indépendants proposés par le comité de gouvernance. La FTQ veut ainsi redevenir majoritaire au CA du Fonds, ce qui ne respecte pas l'esprit de la loi.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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