Production agricole: quand la réalité l'emporte sur la théorie


Édition du 05 Mai 2018

Production agricole: quand la réalité l'emporte sur la théorie


Édition du 05 Mai 2018

Le système de production agricole du Canada et des États-Unis fournit un bel exemple des choix de société qui ont été faits chez nous pour promouvoir l’autosuffisance agroalimentaire. [Photo: Pixabay]

Il arrive que la théorie économique et la réalité se rejoignent. On sait, par exemple, que l'économie planifiée, qui repose sur le contrôle des productions et des prix, mène à des effets pervers tels que des pénuries, des inefficacités et de la non-qualité. L'échec des régimes communistes l'a bien prouvé.

À l'inverse, l'économie de marché pure, selon laquelle les décisions des producteurs et des consommateurs sont basées sur les seules forces du marché, produit des conséquences indésirables : exploitation des travailleurs, concurrence déloyale, prix abusifs, mauvaise qualité, etc.

On sait maintenant que l'intérêt général réside dans un équilibre entre le jeu des forces du marché et un encadrement avisé qui assure une protection judicieuse aussi bien des consommateurs que des travailleurs et des producteurs. Cet équilibre est toutefois difficile à obtenir. Il varie d'un pays à l'autre, selon le système politique en place, les valeurs des citoyens et leurs choix de société.

C'est ce qui explique, par exemple, que le Canada diffère des États-Unis sur beaucoup de dimensions. Le Canada est plus égalitaire sur le plan de la redistribution de la richesse, plus social-démocrate par rapport à l'intervention de l'État, plus inclusif quant à l'immigration et, en général, plus progressiste sur le plan des valeurs.

Le système de production agricole du Canada et des États-Unis fournit un bel exemple des choix de société qui ont été faits chez nous pour promouvoir l'autosuffisance agroalimentaire, assurer un revenu décent aux producteurs et fournir aux consommateurs des produits de qualité à des prix raisonnables.

Alors que le gouvernement américain subventionne massivement certaines productions agricoles, telles que le maïs et le soja, le Canada a choisi d'appuyer les producteurs agricoles de trois façons :

1. Le contrôle de la production dans les secteurs du lait, de la volaille et des oeufs. Il se fait par l'octroi de droits de production, établis lors de conférences nationales auxquelles participent les provinces qui, à leur tour, attribuent des quotas aux producteurs. Ces droits, de grande valeur commerciale, peuvent s'échanger entre producteurs. Malheureusement, leur prix élevé rend difficile le transfert des fermes à la relève.

2. Le contrôle des produits importés par des contingents tarifaires, qui font l'objet d'accords commerciaux entre les pays. Ainsi, le Canada a dû faire des concessions aux producteurs de fromages d'Europe pour conclure son accord de libre-échange avec l'Union européenne.

3. La fixation de certains prix. Par exemple, la Commission canadienne du lait fixe les prix du beurre et de la poudre de lait écrémé qu'elle achète des producteurs.

Gestion de l'offre

Alors qu'ils bousculent les lois du marché, ces trois mécanismes de contrôle sont des choix de société. Le dispositif le plus débattu d'entre eux est l'inéluctable gestion de l'offre, et c'est dans l'industrie laitière que l'on en discute le plus. Le député Maxime Bernier, qui a été candidat à la chefferie du Parti conservateur, l'a appris à ses dépens, lorsque plusieurs producteurs laitiers ont adhéré à son parti pour se liguer contre lui et faire élire son principal opposant.

On accuse la gestion de l'offre d'être responsable du prix plus élevé du lait au Québec. Ce n'est pas vrai. C'est la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec qui fixe les prix minimum et maximum de certaines catégories de lait, ce que ne fait pas l'Ontario, où les détaillants gardent les prix bas pour attirer les consommateurs. Ils sont plus bas aussi aux États-Unis grâce aux économies d'échelle de leurs grandes fermes, aux faibles coûts d'alimentation du bétail et aux bas coûts de main-d'oeuvre, qui comprend un grand nombre de travailleurs sans papiers.

La gestion de l'offre a un coût, certes, mais elle a aussi des avantages importants : des prix plus stables pour les producteurs et la survie des fermes de taille modeste. Une déréglemention importante de la production agricole mènerait à l'abandon de plusieurs fermes familiales, à des pertes d'emplois, à un appauvrissement des régions et à des impacts socioéconomiques néfastes pour leur population. Nous serions également plus dépendants des importations, donc plus à risque sur le plan de la qualité et la salubrité des aliments.

Pour ces raisons et malgré les rugissements de Donald Trump, il serait étonnant que la gestion de l'offre soit menacée. En revanche, il se pourrait que des concessions soient faites sur les contingents tarifaires, qui sont plus faciles à négocier. C'est un choix de société qui se défend.

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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