Mode de scrutin : la démocratie doit prévaloir sur la partisanerie


Édition du 06 Octobre 2018

Mode de scrutin : la démocratie doit prévaloir sur la partisanerie


Édition du 06 Octobre 2018

[Photo: 123RF]

Les résultats des dernières élections au Nouveau-Brunswick ont montré l'importante distorsion que peut provoquer le mode de scrutin utilisé par le fédéral et les provinces. Le Parti libéral du Nouveau-Brunswick a fait élire 21 députés, soit un de moins que le Parti conservateur, mais il a obtenu 37,8 % des voix, soit 5,9 % de plus que son opposant. C'est non représentatif de la volonté des électeurs.

Aux États-Unis, Donald Trump a été élu président avec trois millions de votes de moins qu'Hillary Clinton à cause du système désuet des grands électeurs. C'est une aberration. Mais comme la partisanerie américaine a atteint un stade extrême, il est probable que ce système sera très difficile, sinon impossible, à réformer.

Le Québec a connu sa part d'incohérence. La plus flagrante s'est produite aux élections de 1966. L'Union nationale a alors fait élire 56 députés avec 40,8 % des suffrages exprimés, alors que le Parti libéral n'a obtenu que 50 sièges malgré l'appui de 47,3 % des électeurs, soit un écart de 6,5 points. Jean Lesage, le chef libéral, a eu beau prier le lieutenant-gouverneur de reconnaître sa légitimité, rien n'y fit.

Selon notre système, c'est le parti qui fait élire le plus de députés qui forme le gouvernement, sans égard au nombre de votes obtenus. Ce système a l'avantage de permettre à un parti d'obtenir une majorité de sièges, même en récoltant parfois 40 % ou moins des suffrages (le Parti québécois a formé un gouvernement minoritaire avec 32 % des votes en 2012) et, ainsi, d'offrir une stabilité au gouvernement.

Par contre, l'inadéquation entre le vote exprimé et le nombre de sièges obtenus que permet ce système est une aberration sur le plan de la démocratie. Les partis qui ont été victimes de cet effet pervers ont souvent réclamé la mise en place d'un mode de scrutin proportionnel mixte, comme cela existe en Nouvelle-Zélande et en Allemagne, mais leur élan démocratique s'est toujours buté sur l'attrait de la partisanerie des députés qui profitent de cette absurdité.

Une solution : le scrutin proportionnel mixte

Cette solution est relativement simple, mais sa mise en place présente un défi colossal. C'est ce qui explique que, malgré sa promesse de changer le mode de scrutin fédéral, Justin Trudeau a mis ce projet au rancart une fois élu. Il a été forcé à ce recul par son caucus, puisqu'une telle réforme réduit le nombre de députés élus.

Le chef du Parti libéral du Québec (PLQ), Jean Charest, a évoqué la mise en place d'un mode de scrutin proportionnel mixte après la victoire du Parti québécois (PQ) lors des élections de 1998. Le PQ avait alors fait élire plus de députés avec moins de votes que le PLQ. Mais son caucus s'y est opposé.

Aujourd'hui, son successeur, Philippe Couillard, diverge totalement d'opinion. S'inscrivant en faux par rapport à la position unanime des trois autres partis d'implanter un mode de scrutin proportionnel mixte, le chef libéral a déclaré qu'il faudrait un appui unanime des partis à l'Assemblée nationale et peut-être même un référendum pour faire un tel changement. Ce sont des tactiques dilatoires qui vont à l'encontre de la démocratie représentative, laquelle doit viser à obtenir une bonne adéquation entre les votes exprimés et le nombre de sièges.

Le fonctionnement

Le mode de scrutin mixte compensatoire dont on parle le plus serait celui-ci. On ramènerait de 125 à 78 le nombre de circonscriptions dans lesquelles on élirait un député. On ajouterait 50 sièges, qui seraient attribués à des députés qui proviendraient de listes de personnes provenant de 8 ou de 9 régions. Chaque parti aurait ses listes. On attribuerait ces 50 sièges à des personnes provenant de ces listes de façon à se rapprocher d'une adéquation entre les suffrages exprimés et la représentativité des partis parmi 128 députés (78 élus + 50 nommés) qui composeraient l'Assemblée nationale.

Par exemple, une région à laquelle sont attribués sept sièges et qui ferait élire cinq députés du Parti libéral pour les cinq sièges à pourvoir directement pourrait voir sa députation complétée par deux personnes provenant d'une liste ou de plusieurs listes d'autres partis ayant obtenu un nombre de votes important.

On pourrait exiger que les 50 personnes à qui seraient attribués des sièges compensatoires soient vraiment représentatives des citoyens de régions. Dans l'hypothèse où la représentation des femmes serait déficiente lors de l'élection des 78 députés, les partis pourraient compenser cette faiblesse en nommant des non-élues. On pourrait aussi s'assurer de nommer des représentants de groupes minoritaires advenant le cas où l'élection directe n'en aurait pas élu.

Les avantages d'un tel système sont une meilleure représentation des petits partis et des régions. Pour éviter de multiplier les partis, il faut établir un seuil du pourcentage des votes obtenus (par exemple, 5 %, comme en Allemagne) pour permettre à un parti d'avoir droit à des sièges.

Le désavantage serait de fragmenter l'Assemblée nationale, ce qui obligerait les partis à recourir à des coalitions, ce qui n'est pas une pratique usuelle chez nous. Cet inconvénient pourrait toutefois conduire à un changement des mentalités, une fois qu'on aurait compris qu'il n'y a pas d'avantage à se chicaner. Au bout du compte, c'est la démocratie qui en bénéficierait.

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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