McInnis : un projet mal préparé et mal géré, qui reste très risqué


Édition du 16 Juillet 2016

McInnis : un projet mal préparé et mal géré, qui reste très risqué


Édition du 16 Juillet 2016

Comment a-t-on pu en arriver là ? Et on n'est peut-être pas au bout de nos surprises.

Ce constat étonnant, c'est le dépassement de coût de 440 millions de dollars - ou de 40 % - pour terminer la construction des installations de la cimenterie McInnis à Port-Daniel-Gascons, en Gaspésie.

Annoncé en grande pompe en janvier 2014 par Laurent Beaudoin, président de Beaudier, société d'investissement des familles Bombardier et Beaudoin, et la première ministre de l'époque, Pauline Marois, qui préparait sa dernière campagne électorale, le projet de Ciment McInnis devait coûter 1,1 milliard de dollars. Il s'élèvera plutôt à environ 1,5 G$ tout en restant «rentable», selon la ministre de l'Économie, de la Science et de l'Innovation, Dominique Anglade.

On peut toutefois en douter, car s'il avait été si rentable au départ, ce projet n'aurait probablement pas eu besoin d'un investissement de 100 M$ ni d'une garantie de prêt de 250 M$ d'Investissement Québec (IQ).

Le projet, dont plusieurs gouvernements ont rêvé, mais qu'ils n'avaient jamais osé financer, a toujours été jugé hautement risqué, d'où l'incapacité pour ses promoteurs initiaux de le mener à terme. L'arrivée dans ce projet de Laurent Beaudoin, le grand architecte du développement de Bombardier, a donné de la crédibilité à sa concrétisation et à ses chances de réussite. C'est peut-être ce qui a amené la Caisse de dépôt et placement à investir 100 M$ dans le capital de Ciment McInnis. La Caisse avait obtenu du succès en 2003 en investissant, avec Bain Capital ainsi que les familles Bombardier et Beaudoin, dans Produits récréatifs BRP, autrefois une division de Bombardier.

Pour bien des observateurs, l'investissement de la Caisse dans le projet de cimenterie avait de quoi rassurer. Le projet bénéficiait d'un congé fiscal de 10 ans et des tarifs d'électricité des grands consommateurs industriels, mais le gouvernement ne le subventionnait pas autrement. Le prêt d'IQ n'était pas garanti lors de l'annonce, mais le gouvernement Couillard a pu le subordonner à d'autres emprunts et accroître son taux d'intérêt.

Sur le plan environnemental, le bilan est désastreux. Ayant échappé à l'examen du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement - un certificat avait été émis en 1996 -, l'usine sera la première source de gaz à effet de serre du Québec (6 % des GES de son secteur industriel).

De toute évidence, ce projet a été annoncé prématurément, avant qu'on n'ait eu le temps d'en optimiser le design, l'échéancier de construction et la planification des travaux, probablement en raison de l'intérêt du promoteur à profiter de la conjoncture électorale pour officialiser son projet. Il fallait aussi agir rapidement pour faire taire les critiques des opposants politiques et des écologistes, ainsi que les objections de l'industrie du ciment qui disait fonctionner à 60 % de sa capacité, ce qui n'a pas empêché une poursuite de Lafarge.

Ce dépassement de coût oblige Ciment McInnis à trouver du financement supplémentaire. La Caisse investira 40 M$ de plus, mais, d'après la ministre Anglade, le gouvernement n'ajoutera pas à son aide. Dieu merci ! Qui seront les autres bailleurs de fonds ? Beaudier devra aussi réinvestir, mais il en faudra d'autres. C'est à suivre... en espérant que les gouvernements se garderont une petite gêne. Parions que ce dossier restera ouvert.

Un autre projet annoncé en grande pompe par la première ministre Marois a encore plus mal tourné. Lancé en octobre 2013 en pleine période de précampagne électorale, le projet d'usine de fabrication d'hydroliennes à Bécancour, évalué à 130 M$, n'a jamais vraiment décollé. Son promoteur, RER Hydro, a fait faillite en décembre 2015 alors qu'il devait un total de 49 M$ à 170 créanciers, dont 11 M$ à IQ.

L'arnaque des contribuables

Il est devenu rare qu'un projet industriel ne reçoive pas d'aide financière de l'État. Il faudrait toutefois être capable de mieux évaluer les projets et d'éviter de jeter l'argent des contribuables par les fenêtres. Même des sociétés bien établies et rentables comme Premier Tech, Cascades, Lassonde, etc. obtiennent de l'aide financière pour des projets d'amélioration de leurs usines. C'est une règle quasi universelle. Comment ne pas le faire si les États voisins le font aussi ?

Par respect pour les contribuables qui en font les frais et par souci de saine gestion, il importe d'être plus rigoureux dans la sélection des projets subventionnés. Il faut aussi mieux encadrer, à défaut de l'éliminer, le pouvoir discrétionnaire du gouvernement sur le financement de projets mal ficelés comme celui de McInnis, ou dont la rentabilité est très hypothétique comme celui de RER Hydro. Ce dernier était tellement politisé que les fonctionnaires du ministère du Développement économique dirigeaient les journalistes au bureau de la première ministre pour obtenir toute information supplémentaire...

L'aide financière accordée par l'État n'appartient pas aux décideurs gouvernementaux. Ce constat est élémentaire, mais si facile à oublier par ceux qui gèrent l'argent des autres.

J'aime

Québec a finalement mis sous tutelle l'Ordre des ingénieurs du Québec. Sa gouvernance est déficiente et il est sous-financé, ce qui l'empêche de remplir sa mission adéquatement. À preuve, moins de 3 % de ses membres font l'objet d'une inspection annuellement. Son conseil d'administration est noyauté par des opposants à toute hausse de cotisation des membres, qui est très basse comparativement à celle des autres ordres.

Je n'aime pas

De plus en plus d'entrepreneurs québécois considèrent que le manque de financement est un obstacle à la croissance de leur entreprise, selon l'Institut de la statistique du Québec. Ainsi, 54 % des 30-39 ans jugeaient cet accès difficile en 2014, comparativement à 27 % en 2011 et à 34 % en 2007. Chez les 50-64 ans, les données correspondantes étaient de 33 % en 2014, de 13 % en 2011 et de 17 % en 2007.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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