Le pays le plus puissant du monde est géré par des amateurs


Édition du 27 Octobre 2018

Le pays le plus puissant du monde est géré par des amateurs


Édition du 27 Octobre 2018

[Photo : 123RF]

Le gouvernement fédéral américain a terminé son exercice financier 2018, le 30 septembre, avec un déficit de 779 milliards de dollars, en hausse de 17 % sur l'exercice précédent. Ce déficit représente 3,9 % du PIB américain, un niveau jugé inacceptable selon le standard généralement accepté, à savoir un maximum de 3 % du PIB comme le prescrit l'Union européenne. Si le déficit du gouvernement canadien atteignait la même proportion du PIB que le déficit américain, il serait de 69 G$. Or, le déficit du gouvernement canadien est estimé à 18 G$ pour l'exercice en cours, soit 1 % du PIB.

Le déficit américain portera la dette du gouvernement des États-Unis à 21 460 G$ US, soit l'équivalent de 108 % du PIB, comparativement à 30 % pour le gouvernement canadien. Pire, selon le Fonds monétaire international, les États-Unis seront le seul pays à accroître le pourcentage de leur dette nationale en pourcentage de leur PIB d'ici 2023. Ce ratio doit croître de 8,9 points de pourcentage pour atteindre 123 %. Pendant la même période, la zone européenne fera baisser d'environ 10 points à 71 % la part de la dette de ses pays membres en proportion de son PIB global. Le Canada devrait réduire ce ratio d'environ 12 points.

Alors que les dirigeants politiques des États-Unis se permettent de faire la leçon à tout le monde, la situation financière de leur pays est tout simplement catastrophique.

Même si ce pays est très puissant et qu'il ne fera pas faillite demain matin, la mauvaise gestion de sa dette publique finira par aggraver ses problèmes économiques (hausse des taux d'intérêt), politiques (tensions accrues au Congrès) et sociaux. En effet, puisque leurs dirigeants politiques sont allergiques aux hausses de taxes, on peut penser qu'ils chercheront de nouveau à réduire le financement des programmes sociaux, ce qui accroîtra encore les inégalités, qui sont déjà grandes. Malgré leur richesse globale, les États-Unis sont au 30e rang pour l'espérance de vie.

Il est ironique que les deux grands leaders du Congrès américain à l'époque de l'administration Obama, celui de la majorité au Sénat, le républicain Mitch McConnell, et celui de la Chambre des représentants, le républicain Paul Ryan, n'aient cessé d'attaquer le gouvernement précédent pour sa gestion des finances publiques. Selon eux, le pays courait à sa perte, d'où leur opposition systématique à l'Obamacare, le programme d'assurance maladie du président démocrate, et les nombreuses obstructions parlementaires pour bloquer l'approbation des budgets et les demandes de crédits de son administration.

Politiques à contresens

La détérioration récente de la situation financière du gouvernement américain s'explique par les politiques économiques des républicains. Alors que l'économie roule à plein régime (le PIB croît à bon rythme, le taux de chômage est de 3,7 % et l'inflation est en hausse), le président Trump a fait voter d'importantes baisses d'impôt pour les particuliers (surtout pour les riches) et les sociétés, qui coûtera à l'État 5 500 G$ US en 10 ans.

Cette mesure va à l'encontre de la théorie keynésienne, selon laquelle on stimule l'économie quand celle-ci ralentit et on vise des surplus budgétaires quand elle va bien. Tout en évitant la surchauffe de l'économie, on dégage ainsi une marge de manoeuvre pour les mauvaises années. Encouragé par son gourou économique, Larry Kudlow, qui a la réputation de toujours se tromper, Trump s'inscrit en faux contre la théorie la plus reconnue par l'ensemble des pays.

Autre preuve de son ignorance, Trump a commencé à multiplier les attaques contre le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, qu'il a nommé à ce poste en février 2018. Devant l'inflation, qui avance au rythme annuel de plus de 2 % depuis le début de l'année, Powell a décrété trois hausses de 0,25 point du taux de base, ce qui l'a porté à 2,25 % en septembre. Trump s'oppose à ce que la Fed porte graduellement ce taux à 3,5 % en 2020. Même s'il a dit reconnaître l'indépendance de la Fed, Trump a déclaré qu'elle était sa «principale menace» et qu'il en savait beaucoup plus que ses dirigeants sur la gestion de la politique monétaire !

À l'instar du dysfonctionnement du Congrès, où la partisanerie l'emporte sur la saine gestion des finances publiques ainsi que sur la qualité des nominations des juges de la Cour suprême et des secrétaires responsables des ministères et des grandes agences, la bonne gestion de l'État est victime des stratégies électoralistes des deux partis qui se partagent le pouvoir.

En imposant des tarifs douaniers sur une multitude de produits, Trump ne semble pas comprendre qu'il fait monter les coûts des sociétés américaines et les prix des produits de consommation. L'inflation qu'il contribue ainsi à créer fera monter éventuellement les taux d'intérêt, ce qui réduira la cadence de l'économie. Il appartiendra à son successeur, probablement un démocrate, de réparer les pots cassés.

 

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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