La Presse : de l'échec du modèle d'affaires à l'enjeu de la pérennité


Édition du 19 Mai 2018

La Presse : de l'échec du modèle d'affaires à l'enjeu de la pérennité


Édition du 19 Mai 2018

La technologie de lecture du quotidien numérique, qui fut développée au coût de 40 millions de dollars, n’a pas trouvé preneur. [Photo: 123RF]

C'était un secret de polichinelle que le modèle d'affaires de La Presse, basé sur la publicité comme seule source de revenu, n'était pas viable. Pire, la technologie de lecture du quotidien numérique, qui fut développée au coût de 40 millions de dollars, n'a pas trouvé preneur.

La création d'une fiducie d'utilité sociale (FUS) pour prendre la relève de Power Corporation à titre de propriétaire du journal permettra à cette entité de recevoir des dons. Créée lors de la réforme du Code civil de 1994, la FUS n'a pas à être rattachée à une personne. Elle existe d'elle-même.

La nouvelle structure d'entreprise est un moyen innovateur et élégant de Power Corporation de se sortir du gouffre financier qu'était devenu La Presse. Comme il n'y avait pas d'acquéreur sérieux pour le quotidien, il aurait été inimaginable qu'une entreprise aussi respectable que Power Corporation mette la clé dans la porte de cet important média. La Presse est un journal de qualité, essentiel à la vie démocratique. Sa disparition aurait causé un vide immense dans l'information des citoyens.

En transférant la propriété de La Presse ltée à une FUS, Power n'aura plus aucune responsabilité à l'égard du quotidien, une fois que la transaction aura été conclue. En bonne entreprise citoyenne, Power versera 50 M$ dans cette FUS et comblera le déficit des régimes de retraite pour les obligations des retraités et des employés jusqu'à la date de la transaction.

On ne sait pas, toutefois, à quelles conditions se fera le transfert des actifs à la nouvelle entité. S'agira-t-il d'un don pur et simple ? Qu'en est-il de l'immeuble, qui a une bonne valeur commerciale ? Sera-t-il transféré à coût nul ?

À l'avenir, les dépenses de rémunération des salariés et toutes les autres dépenses d'exploitation continueront d'être à la charge de La Presse ltée, qui conservera son statut d'entité à but lucratif pour avoir accès aux crédits d'impôt du gouvernement du Québec pour la transformation numérique. Les dons et les revenus de placement que pourrait encaisser éventuellement la FUS seront utilisés pour combler le déficit d'exploitation de La Presse ltée.

Quand le fédéral aura légiféré pour permettre à la FUS de délivrer des reçus aux fins de l'impôt, comme le font les organismes de bienfaisance, on espère que cette source de financement pourra combler le déficit d'exploitation de La Presse ltée. On peut penser que La Fondation des Amis du Devoir, qui recueille des dons pour assurer la survie du quotidien du même nom, bénéficiera aussi éventuellement de cet avantage fiscal.

Défis et incertitudes

Power Corporation était un véritable mécène pour La Presse. Il est plausible que cette société continue d'aider son ancien quotidien par la FUS, mais, puisque celle-ci aura désormais la pleine responsabilité de son avenir, cet appui sera certainement inférieur à son coût actuel.

Plusieurs défis et incertidudes attendent la nouvelle organisation. Le premier enjeu est le niveau de déficit d'exploitation que le journal pourra tolérer sans mettre à risque sa survie. Il est d'ailleurs très probable que sa masse salariale doive être comprimée.

Normalement, une structure comme celle de la future FUS devrait bénéficier d'un fond ou d'une réserve de capital dont on n'utilise que les revenus pour l'aide annuelle aux entités bénéficiaires. C'est le cas des fondations. C'est aussi ce que fait le Scott Trust, qui finance les journaux et les sites web du Guardian Media Group de Londres. Le Scott Trust a un actif net de 1,75 milliard de dollars canadiens. Les médias qu'il soutient ont subi une perte brute 79 M$ en 2016-2017.

La gouvernance de la FUS sera intéressante à analyser. Son président sera nommé conjointement par La Presse et Power, et c'est lui qui recrutera les autres membres du conseil d'administration. Qui seront-ils ? Quel sera leur taux de rémunération ? Quelle place fera-t-on aux employés ? La FUS acceptera-t-elle des membres autres que ses administrateurs ? Elle sera un organisme sans but lucratif (OSBL) important, qui vivra de dons. Or, comme les OSBL ne rémunèrent pas généralement leurs administrateurs, la modération à cet égard sera indiquée.

Les états financiers des organismes de bienfaisance sont accessibles au grand public. Puisque la FUS recueillera elle aussi des fonds auprès de citoyens, il ne manquera pas de curieux pour examiner ses résultats et son bilan.

Le principal enjeu des dirigeants de la FUS sera la collecte de dons. À part Le Devoir, qui bénéficie de la ferveur et de la fidélité de milliers de lecteurs depuis des décennies, aucun autre média d'envergure canadien n'a eu recours à un tel moyen de financement. D'où l'expérimentation de stratégies et de tactiques qui ne vont pas nécessairement de pair avec l'image plutôt suffisante de La Presse et qui pourraient avoir une influence sur son contenu.

Bref, c'est à une toute nouvelle aventure que seront confrontés les dirigeants et les artisans de ce quotidien de 134 ans.

 

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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