La fermeture possible de SABSA, symptôme d'une réforme ratée


Édition du 30 Avril 2016

La fermeture possible de SABSA, symptôme d'une réforme ratée


Édition du 30 Avril 2016

[Photo : iStock]

La clinique SABSA (pour Services à bas seuil d'accessibilité) du quartier Saint-Roch de Québec pourrait devoir fermer ses portes, à moins qu'un ou des mécènes ne la sauvent.

Ce serait un drame sur le plan social, causé par l'intransigeance du ministre de la Santé, Gaétan Barrette, qui devrait plutôt s'assurer que des services de santé sont fournis aux plus démunis d'entre nous.

SABSA a traité en moyenne 271 patients par mois en 2015. Selon une étude, 40 % sont vulnérables (toxicomanie, maladie mentale, etc.) et 14 % vivent avec le VIH/sida ou l'hépatite C. Ces personnes ne fréquentent pas les CLSC, les groupes de médecine de famille (GMF) ni les autres cliniques du réseau. Il arrive que des patients lui soient recommandés par le CLSC du quartier.

SABSA reçoit ses patients sans rendez-vous et ceux-ci sont soignés gratuitement par une équipe comprenant notamment deux infirmières praticiennes spécialisées (IPS) ainsi que des infirmières cliniciennes et techniciennes. Les IPS peuvent prescrire certains examens ou médicaments, renouveler des prescriptions, faire des points de suture, drainer des abcès, etc. SABSA a vu le jour en 2014 de manière expérimentale, grâce aux fonds de la coopérative de solidarité qui la gère (400 membres, coût d'adhésion de 10 $), à une subvention de la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ), qui a fourni 150 000 $, et à d'autres donateurs.

Un rapport préliminaire d'évaluation réalisé par neuf chercheurs a conclu que «SABSA constitue un modèle de prise en charge remarquablement efficient non seulement en termes d'accessibilité, mais aussi de continuité de soins». SABSA a fait économiser 5 618 actes médicaux (estimés à 147 000 $) à la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ).

La FIQ ne veut pas renouveler son aide financière (ce n'est pas dans sa mission de se substituer à l'État). Toutefois, la FIQ, l'Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec et des intervenants du milieu supplient le ministre Barrette de permettre à SABSA de poursuivre son oeuvre. Un groupe de citoyens, dont fait partie Pierre Delagrave, cofondateur de l'agence Cossette, a lancé une campagne de sociofinancement avec la plateforme La Ruche pour tenter de trouver 250 000 $ d'ici le 1er mai, jour où la clinique pourrait fermer ses portes.

Au moment d'écrire ces lignes, le ministre refusait toujours de débloquer du financement pour SABSA. Selon lui, cette clinique n'a pas sa raison d'être. Il juge que, si les IPS veulent continuer de soigner leur clientèle, elles n'ont qu'à travailler au GMF du quartier, comme s'il lui importait plus de fournir un emploi aux IPS que de faire en sorte que les clients de SABSA reçoivent les soins dont ils ont vraiment besoin.

Le Dr Barrette ne veut pas d'une clinique différente de celles qui existent déjà dans le réseau de la santé, comme si celui-ci n'avait pas à s'adapter aux besoins des malades. Il ne faut pas s'en surprendre, puisque les réformes répétées du système de santé ont toujours porté sur les structures et sur des mesures financières incitatives pour les médecins.

Ces réformes ont eu pour principal résultat de faire exploser la rémunération des médecins, qui serait devenue la plus élevée du pays. Rien n'a changé sur le plan de l'accès. Quand, en août 2012, le Dr Barrette, alors dans l'équipe de la Coalition Avenir Québec (CAQ), a promis de «fournir un médecin à chaque famille d'ici un an» (quelle farce !), 25 % des Québécois n'en avaient pas. Le Dr Barrette est devenu ministre en avril 2014, mais deux ans plus tard, le quart des Québécois n'ont toujours pas de médecin de famille. Le dernier espoir est la loi 20, mais, encore une fois, ce sont les médecins qui sont au coeur de la réforme, et non les patients.

Comme l'a démontré récemment l'Institut économique de Montréal, les IPS pourraient aider à réduire les coûts du système (salaire de 93 700 $, comparativement à 264 000 $ en moyenne pour les omnipraticiens) et le désengorger. Le Québec ne comptait que 297 IPS de première ligne le 31 mars dernier, par rapport à 1 897 en mars 2015 en Ontario. La profession médicale, qui voit les IPS comme des voleuses d'actes médicaux faciles à réaliser, ainsi que les autorités du réseau de la santé n'ont jamais aimé ces superinfirmières, que l'on a formées au compte-gouttes. Ne trouvant pas leur place dans un système dominé par les médecins, plusieurs IPS prennent le risque d'ouvrir des cliniques privées.

Le mépris qu'on affiche à leur endroit, la fermeture possible de SABSA, les CLSC qui réduisent leur accès sans rendez-vous, la popularité des cliniques privées, le SOS lancé par les cadres de la santé qui se disent épuisés et l'autoritarisme du ministre sont des symptômes d'un profond malaise dans le système de santé. Ce système s'affaiblit au lieu de se renforcer et risque de faire beaucoup de tort au gouvernement.

Monsieur Couillard, Justin Trudeau augmente sa popularité par une multitude de gestes symboliques. La fermeture du Centre Mélaric pour toxicomanes a fait mal à votre gouvernement. Vous vous donneriez une image beaucoup plus humaine en sauvant SABSA.

J'aime

Grâce à la vision, l'ambition et la créativité de la Caisse de dépôt et placement, la région de Montréal pourrait être dotée en 2020 d'un système léger sur rail de transport de personnes, automatisé et électrique, de 67 km. La deuxième agglomération du pays pourrait enfin se comparer favorablement aux autres grandes métropoles du monde sur le plan de la mobilité urbaine. Espérons que toutes les parties concernées dans ce projet y contribueront positivement.

Je n'aime pas

L'acquittement du sénateur Mike Duffy montre encore une fois (après la gestion laxiste des factures de Lise Thibault, l'ancienne lieutenante-gouverneure) les carences des règles et des contrôles dans la gestion des dépenses de l'État. Le jugement montre la petitesse du gouvernement Harper qui a tout fait pour camoufler le «problème Duffy.»

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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