L'ordre mondial est menacé par la perte d'influence de l'Europe


Édition du 23 Novembre 2019

L'ordre mondial est menacé par la perte d'influence de l'Europe


Édition du 23 Novembre 2019

Le président ­Macron a appelé ses homologues européens à « clarifier les finalités stratégiques » de l’OTAN et à réfléchir à l’idée de doter l’Europe d’une « autonomie stratégique et capacitaire sur le plan militaire ». (Photo: 123RF)

CHRONIQUE. L'OTAN est en état de «mort cérébrale», a déclaré le président de la France, Emmanuel Macron, à un mois du sommet des chefs d'État qui se tiendra à Londres.

Ce cri d'alarme, qui a été jugé excessif par la chancelière Angela Merkel, n'est pas fortuit. Macron a été renversé par l'apathie de l'OTAN par rapport à ce qui vient de se passer dans le nord de la Syrie.

D'abord, un mot sur l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN). Celle-ci a été créée en 1949 par les États-Unis, le Canada et 10 pays de l'Europe de l'Ouest. L'Allemagne avait été renversée, mais on observait les visées idéologiques et territoriales de l'Empire soviétique que dirigeait Staline (URSS), qui était sorti grandi de la guerre 1939-1945. L'URSS affirmait sa domination sur plusieurs pays de l'Europe de l'Est et dans l'est de l'Allemagne, lequel est devenu un pays en 1949. Grâce à l'adhésion de plusieurs pays de l'Europe de l'Est à la suite de l'effondrement de l'URSS, l'OTAN réunit maintenant 30 membres. Selon l'article 5 de sa constitution, tous les pays membres de cette alliance militaire doivent défendre un des leurs qui serait attaqué.

Le président Macron a été offusqué par l'absence de réaction de l'OTAN par rapport au retrait des troupes américaines du nord de la Syrie en octobre et à l'envahissement jumelé de cette région par la Turquie de concert avec la Russie. Un coup de maître pour Vladimir Poutine, qui était déjà un allié du président syrien Bashar al-Assad.

Ce retrait, qui a été ordonné par le président Trump à la suite d'une entente avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, a été vu comme une trahison à l'endroit des milices kurdes qui avaient combattu avec compétence et courage les terroristes de l'État islamique dans cette région. Devant le retrait américain, les Kurdes ont dû s'allier à la Russie pour ne pas se faire détruire par l'armée d'Erdogan, qui les considère comme une menace pour son propre pays. (Les Kurdes, qui rêvent d'un pays, habitent un territoire recouvrant une partie de la Turquie, de la Syrie, de l'Irak et de l'Iran.)

À la suite du retrait américain, la Turquie a créé en Syrie un «corridor de paix», une zone tampon de 120 km de longueur par 30 km de profondeur, qui doit accueillir une partie des 3,6 millions de réfugiés syriens en Turquie, qu'Erdogan veut renvoyer dans leur pays.

Incohérence et désorganisation

Autre manifestation d'incohérence au sein de l'OTAN, le président Erdogan a acheté de la Russie le système de défense antiaérienne S-400 Triumph, de préférence à un système équivalent américain. Cet achat est aussi un pied de nez aux États- Unis, mais les menaces de représailles de Trump n'ont pas ébranlé Erdogan, qui n'en fait qu'à sa tête.

En plus d'exprimer son désarroi quant à la désorganisation de l'OTAN, le président Macron a appelé ses homologues européens à «clarifier les finalités stratégiques» de l'OTAN et à réfléchir à l'idée de doter l'Europe d'une «autonomie stratégique et capacitaire sur le plan militaire».

Autre faiblesse, l'Europe souffre aussi d'un manque de politique étrangère commune, d'où son incapacité de s'affirmer à l'égard des ambitions de Vladimir Poutine. En 2014, la Russie a envahi et annexé la Crimée et elle a encouragé un soulèvement séparatiste dans le Donbass, dans l'est de l'Ukraine. Alors que l'Union européenne (UE), les États-Unis et le Canada ont riposté en interdisant leur territoire à certaines personnalités russes, le conseil de sécurité de l'ONU s'est révélé incapable d'intervenir de façon décisive sur le retour de la Crimée à l'Ukraine.

Autre enjeu, l'OTAN est sous-financée. Trump estime que les pays européens ne contribuent pas assez. Il a même suggéré que les États-Unis ne défendent que les pays de l'OTAN qui consacrent au moins 2 % de leur PIB à leur défense. Trump voudrait aussi que l'Allemagne, qui en a les moyens, accroisse son budget militaire.

Menaces extérieures et intérieures

L'Europe est frappée autant de l'extérieur que de l'intérieur. En plus de Trump, qui encourage le Royaume- Uni à quitter l'UE, Poutine cherche à redonner à la Russie sa grandeur d'antan et à miner la démocratie. Convaincu que la Russie est porteuse d'une «civilisation supérieure», il estime que sa zone d'influence pourrait s'étendre de Vladivostok à Lisbonne. Pas question donc de se retirer de la Crimée et de réduire son influence dans d'autres régions comme le Donbass, la Biélorussie, l'Ossétie du Nord, la Tchétchénie et d'autres. Poutine ne permettra jamais à l'Ukraine et à la Géorgie d'adhérer à l'UE et encore moins à l'OTAN.

Poutine, qui est issu du KGB et qui a appartenu aux agences de surveillance et d'espionnage qui lui ont succédé, n'a rien perdu de sa volonté d'intervenir dans les affaires des pays démocratiques. La Russie a utilisé massivement les médias sociaux pour soutenir le Brexit, et Trump lors des élections présidentielles de 2016.

Elle a financé le Front national de Marine Le Pen et a proposé une manoeuvre financière majeure pour soutenir le FPÖ, parti d'extrême droite autrichien.

Sur le plan intérieur, l'Europe est affaiblie par la montée de la droite dans plusieurs pays européens. Le fait que les eurosceptiques ont fait élire au Parlement européen, en mai dernier, 170 députés, dont 115 provenant de partis populistes et d'extrême droite, a envoyé dans les limbes la «construction européenne».

Cette perte d'influence de l'Europe a pour effet de renforcer le bipolarisme : d'un côté, les États-Unis, dont la crédibilité et la légitimité s'effondrent en raison d'enjeux sociaux économiques et de l'ineptie de leur président ; de l'autre, la Chine, qui étend lentement mais sûrement son influence dans l'ensemble de l'Eurasie et en Afrique. C'est une très mauvaise nouvelle pour l'ordre mondial. Nous serions beaucoup plus en sécurité si l'Europe pouvait devenir une troisième puissance.

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J’aime

­Après l’incroyable fiasco de la réforme du ­Programme de l’expérience québécoise (PEQ) du ministre ­Simon ­Jolin-Barrette, le gouvernement de ­François ­Legault a tout jeté aux ordures et s’est excusé sans ménagement. C’est ce qu’il devait faire. Reste à voir si le gouvernement a réellement appris de l’improvisation, de l’amateurisme et de l’arrogance montrés dans la gestion de ce projet.

Je n’aime pas

­La vente discutable de ­Rona à l’américaine ­Lowe’s, en 2016, continue de faire des victimes. Outre le congédiement de cadres et la fermeture du bureau de stratégie de ­Boucherville, on a récemment appris la fermeture de l’usine du fabricant de moulures ­Roland ­Boulanger & ­Cie, de ­Warwick (perte de 130 emplois), et la résiliation, en février 2020, d’un contrat avec le spécialiste en marchandisage ­Match Marketing Group, ce qui entraînera la perte de centaines d’emplois. Certains de ces emplois seront toutefois récupérés au sein des entités de ­Lowe’s.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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