L'élection américaine a laissé des plaies longues à guérir


Édition du 12 Novembre 2016

L'élection américaine a laissé des plaies longues à guérir


Édition du 12 Novembre 2016

[Photo : 123RF/lightwise]

On ne connaissait pas l'issue de l'élection présidentielle américaine au moment d'écrire ce texte. Toutefois, on pouvait en déduire des effets pervers marquants sur plusieurs aspects de la vie américaine.

Les Américains ont vécu une élection historique. Outre le fait que le Parti démocrate était représenté pour la première fois par une femme et que le Parti républicain l'était par un électron libre (rejeté par son establishment, narcissique à l'extrême, menteur invétéré, arrogant, vulgaire, ouvertement raciste et sexiste), ni l'un ni l'autre des candidats n'a obtenu au moins 50 % d'appui populaire. Manifestement, de très nombreux électeurs ont voté pour le moins pire des deux ou se sont abstenus tout simplement.

La prépondérance des attaques personnelles violentes, des insultes et des propos hargneux dans le discours de Donald Trump et, dans une moindre mesure, dans les interventions d'Hillary Clinton a occulté des enjeux importants, tels les inégalités sociales grandissantes, les changements climatiques, le coût de l'éducation, le sort des immigrants sans-papiers et de leurs enfants, le financement des services publics et le rôle de l'argent dans le processus électoral. Au lieu de débattre intelligemment de ces questions, les slogans réducteurs et les affirmations insipides de Donald Trump ont empêché une réflexion sérieuse de la population.

Le fait que les deux candidats aient développé une véritable inimitié l'un envers l'autre déteindra sur les rapports entre leur parti respectif. Il se pourrait aussi que cet antagonisme pourrisse les relations que devront avoir les deux partis pour remettre sur les rails le processus législatif du Congrès, déjà marqué par un dysfonctionnement systématique en raison de l'acharnement des républicains à bloquer la réalisation du programme politique du président Obama.

La dynamique de la campagne électorale a consolidé le schisme social de plus en plus visible entre ceux qui détiennent le pouvoir politique et la richesse et les laissés pour compte, qui sont de plus en plus nombreux. Hillary Clinton a surtout recueilli l'appui des élites, des personnes scolarisées et des gens qui ont peur de Donald Trump (les femmes, les gens de couleur, les minoritaires), alors que ce dernier a remporté la faveur des «hommes blancs en colère» qui partagent ses valeurs et aiment les armes, et des personnes qui, par-dessus tout, veulent du changement. Ils ont cru que Donald Trump allait rouvrir les mines de charbon, rapatrier des emplois du Mexique et de la Chine, expulser des immigrés à l'étranger (il n'a pas dit où), rétablir la loi et l'ordre, et redonner à leur pays sa puissance militaire.

Effets durables

Donald Trump a été tellement radical et violent à l'égard de son adversaire, qu'il a traitée de tous les noms, et si méprisant envers les Mexicains, les musulmans, les femmes, les immigrés, certaines élites et les médias, qu'il a encore accru la suspicion à leur endroit. En répétant ad nauseam que l'élection a été truquée, il a discrédité le processus électoral. En affichant son admiration pour Vladimir Poutine et en demandant à la Russie d'espionner les serveurs du Parti démocrate, il a mêlé plus d'un électeur. Il n'a pas cessé, non plus, de dire que les États-Unis avaient perdu leur prestige, leur puissance politique, leur compétitivité, etc., ce qui a pu renforcer le désespoir de certains électeurs. L'ensemble de ses messages a sans doute accru la méfiance, et même le désespoir, de ceux qui se sentent exploités, rejetés et laissés à eux-mêmes pour arriver à survivre. Rien non plus dans son discours extrêmement négatif pour accroître son estime de soi, reprendre confiance. Trump a laissé en héritage la déception et le désarroi, ce qui ne manquera pas de nourrir le cynisme des citoyens qui ont mis aveuglément leur confiance en lui, un sentiment partagé par plusieurs des partisans du sénateur «socialiste» Bernie Sanders, qui a bien failli être désigné candidat du Parti démocrate.

Lendemains tumultueux

Alors que Donald Trump (s'il est élu) travaillera principalement en fonction de ses intérêts personnels et en n'en faisant qu'à sa tête, et que Hillary Clinton (si elle est élue) sera redevable à Wall Street, il ne faut pas s'attendre à un virage en matière de lutte aux inégalités sociales, ni à un recul du cynisme au sein d'une vaste proportion de la population.

Le risque est élevé que les États-Unis se referment davantage sur eux-mêmes, deviennent plus protectionnistes sur le plan commercial.

On peut aussi penser que, sous la pression du Tea Party, son aile radicale, le Parti républicain continuera de s'autodétruire. Les rivalités internes du parti pourraient nuire au travail du Congrès dans la gestion des affaires de l'État.

Toutes les grandes batailles électorales laissent des cicatrices. À cause des rapports acrimonieux qui ont marqué cette course présidentielle, on peut penser qu'elle laissera des plaies qui seront longues à guérir.

J'aime

Bravo aux journalistes de l'émission Enquête de Radio-Canada qui ont dénoncé l'incompétence de la gestion de la Société immobilière du Québec et sa gouvernance déficiente. Des transactions de plusieurs dizaines de millions de dollars ont profité à des collecteurs de fonds du Parti libéral du Québec et des ristournes ont transité dans des comptes à l'étranger. Reste à voir ce qu'en fera le ministère de la Justice.

Je n'aime pas

Les révélations sur l'espionnage de journalistes par la Sûreté du Québec (SQ) et le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ont confirmé l'influence du pouvoir politique sur la police. On comprend mieux la nomination de Mario Laprise à la tête de la SQ par le gouvernement Marois et celle de Philippe Pichet à la tête du SPVM par le maire Coderre. Au-delà de l'enquête à venir, il faudra trouver une nouvelle façon de nommer les chefs de police.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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