Il faut apprendre d'un échec et valoriser ce qui reste de Téo Taxi


Édition du 09 Février 2019

Il faut apprendre d'un échec et valoriser ce qui reste de Téo Taxi


Édition du 09 Février 2019

CHRONIQUE — L'aventure de Téo Taxi est terminée. Ce n'est pas la fin du monde. Bien sûr, les dommages sont importants : perte d'emploi pour les 455 chauffeurs et 90 autres salariés (mécaniciens, gestionnaires, programmeurs, etc.) ; perte de plus de 60 millions de dollars pour les investisseurs qui ont cru dans le projet, la Caisse de dépôt, le Fonds FTQ, Fondaction, Investissement Québec et des investisseurs privés, dont Alexandre Taillefer, gestionnaire des fonds XPND et promoteur du projet. Pour ce dernier, c'est aussi une perte de crédibilité et de réputation. Comme d'habitude, les gérants d'estrade, qui savent toujours tout, se défoulent. Mais passons...

Nous ne sommes pas dans la Silicon Valley, où l'échec est souvent vu comme une occasion d'apprendre. Des chasseurs de têtes ne craignent pas de recommander des candidats qui ont subi une déconfiture. Ils estiment qu'ils ont appris de leur mésaventure et qu'ils seront plus forts quant à une nouvelle adversité. Dans son livre Why Startups Fail, David Feinleib, un investisseur en capital de risque a écrit : «Dans la Silicon Valley, actuellement, c'est comme... essaie-le. Si ça marche, bravo! Si ça échoue, pas de problème.» En fait, l'échec est même parfois célébré. FailCon, une organisation de conférences sur l'échec qui a été lancée à San Francisco en 2009, réunit des entrepreneurs et des universitaires qui racontent leurs échecs en affaires et les leçons qu'ils en ont tirées. FailCon organise maintenant ses conférences partout dans le monde.

Apprendre de Téo Taxi

L'entreprise de voitures taxis électrique de Montréal a échoué pour diverses raisons :

1. Elle devait concurrencer Uber, qui avait des avantages concurrentiels. Uber peut faire varier ses tarifs selon la demande, alors que ceux de Téo sont fixes, comme c'est le cas pour les autres entreprises de cette industrie. Téo a misé sur une réforme de la réglementation qui aurait placé tout le monde sur un pied d'égalité. Québec a fini par resserrer les conditions imposées à Uber, mais pas suffisamment.

2. Le modèle d'affaires de Téo était très ambitieux : obtenir une productivité élevée de chauffeurs salariés à 15 $/h et ayant des avantages sociaux, par rapport à des entrepreneurs à leur compte capables de moduler leur temps de travail selon la demande des clients.

3. Téo utilisait de petites voitures électriques qui avaient une autonomie de 100 km et qui devaient être rechargées souvent, ainsi que des Tesla ayant une autonomie de 300 km, mais qui coûtait plus cher à acheter et à réparer.

4. La technologie a eu des défaillances et il a fallu presque tout reprendre à zéro à un moment donné.

Ces difficultés ont fait en sorte que Téo Taxi n'a jamais atteint son point mort et que cet objectif est même apparu irréalisable à moyen terme. D'où le refus des grands bailleurs de fonds d'ajouter à nouveau du capital dans l'entreprise.

On n'est pas dans la Silicon Valley ni à New York, où des investisseurs peuvent avancer des milliards de dollars dans une nouvelle entreprise avant d'atteindre la rentabilité. C'est notamment le cas pour Uber, qui perd beaucoup beaucoup d'argent (1 milliard de dollars américains à son troisième trimestre de 2018), alors qu'elle a bénéficié d'un investissement de 9 G$ US au début de 2018.

Valoriser les actifs restants

Téo a terminé sa vie, mais elle laisse des éléments d'actif qui peuvent être valorisés, comme en faisait état Alexandre Taillefer dans sa lettre ouverte au premier ministre François Legault.

Il serait bête que l'on ne modifie pas la réglementation sur l'empattement des voitures taxis pour conserver sur la route les voitures d'Uber, auxquelles les usagers se sont habitués.

De même, l'application pour téléphone mobile qui a été développée pour Téo Taxi et qui est utilisée pour les deux autres sociétés de taxis de Taxelco (Hochelaga et Diamond) a aussi une valeur. Pourquoi ne serait-elle pas commercialisée auprès des autres sociétés de taxis du Québec et ailleurs dans le monde ? On l'a déjà fait pour la technologie utilisée pour le Bixi.

Les structures de recharge de Téo pourraient être acquises à bon prix et exploitées par un tiers, et même par Hydro-Québec, qui doit agrandir son réseau de telles bornes afin de répondre aux besoins des utilisateurs de voitures électriques.

Téo Taxi aurait peut-être pu survivre dans un contexte réglementaire plus favorable si elle avait eu une meilleure qualité d'exécution. Mais le sort en est jeté. Elle ne sera pas ressuscitée et, comme l'a dit le grand poète grec Sophocle, «il ne sert à rien de pleurer sur le lait renversé».

Regardons vers l'avant. Que le gouvernement complète la réorganisation de l'industrie du taxi et modernise sa réglementation. Il n'est ni normal ni équitable qu'Uber, qui utilise déjà des paradis fiscaux, bénéficie d'avantages concurrentiels qui ne sont pas accessibles à nos propres entreprises.

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J’aime
Le premier ministre François Legault a affirmé que les 18 139 demandes d’immigration en retard de traitement seront toutes traitées. Comme ces dossiers concernent surtout des familles, on croit qu’ils représentent probablement plus de 40 000 personnes. Ce chiffre est difficilement compatible avec l’objectif du gouvernement de n’accepter que 40 000 immigrants par année, une promesse à oublier pour trois raisons : 1. il manque de main-d’œuvre au Québec ; 2. le taux d’emploi des immigrés est plus élevé que celui des natifs ; 3. réduire l’immigration affaiblira l’influence du Québec au pays.

Je n’aime pas
Mauvaise nouvelle en provenance de Washington. Alors que le président Trump a torpillé l’ALÉNA, voilà que la Chambre des représentants, qui est contrôlée par les démocrates, veut revoir la dernière entente négociée par le Canada, les États-Unis et le Mexique.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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