Financière agricole : une gouvernance au service du privé


Édition du 08 Juillet 2017

Financière agricole : une gouvernance au service du privé


Édition du 08 Juillet 2017

Un récent rapport de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP), portant sur la Financière agricole du Québec (FAQ), vient de confirmer la non-pertinence de son con- seil d'administration.

Dévoilé par La Presse, ce document est demeuré confidentiel, probablement parce que ni le conseil d'administration (CA) de la FAQ ni le gouvernement ne voulaient dévoiler le jugement sévère de l'IGOPP sur la gouvernance de cette société, qui gère les programmes d'aide financière aux agriculteurs et d'assurance visant la stabilisation de leurs revenus.

En gros, l'Institut dénonce le fait que le conseil d'administration de la FAQ compte cinq hauts dirigeants de l'UPA, le puissant monopole syndical des producteurs agricoles du Québec. Le CA de la FAQ inclut aussi huit membres indépendants, son président-directeur général et le sous-ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ). Contrairement à ce que l'on observe dans la plupart des conseils d'administration des sociétés d'État, les dirigeants de l'UPA qui siègent au CA de la FAQ sont «désignés» par leur syndicat. Ils ne sont donc pas choisis par le gouvernement à partir d'une liste de personnes suggérées par le conseil d'administration d'une société donnée.

Non seulement cette présence imposante de l'UPA lui donne beaucoup de poids et de pouvoir dans les discussions et la gestion des enjeux portés à l'attention du CA de la FAQ, mais ses représentants se trouvent en conflit d'intérêts puisqu'à peu près toutes les décisions du CA concernent les intérêts des producteurs.

On imagine mal que les membres de l'UPA quittent la salle du conseil de la FAQ chaque fois que l'on discute de programmes pouvant avoir un impact sur leurs revenus et ceux des producteurs qu'ils représentent. Malgré cet accroc à la bonne gouvernance, et bien que les administrateurs autres que ceux représentant l'UPA aient exprimé leur malaise quant à cette situation, le ministre responsable, Laurent Lessard, a dit qu'il n'entendait pas revoir la gouvernance de la FAQ. Il est clair que l'intérêt actuel de M. Lessard est politique : il veut amadouer les membres de l'UPA, qui en avaient assez de son prédécesseur, Pierre Paradis, dont certains avaient demandé la démotion. Le retrait de M. Paradis du conseil des ministres en janvier dernier a été une bénédiction pour le premier ministre Couillard, qui a pu nommer au MAPAQ un homme qui allait conforter les bonzes du monopole syndical.

L'État dans l'État

La nomination de M. Lessard a consacré le monopole qu'avait menacé son prédécesseur, en rendant accessible le crédit de taxes foncières à des non-membres de l'UPA à compter du 1er janvier 2017. Ce monopole avait été créé en 1995 par le gouvernement de Jacques Parizeau, alors qu'il préparait sa campagne référendaire. Le ministre de l'Agriculture de l'époque, Marcel Landry, avait travaillé pour l'UPA de 1986 à 1994. Le gouvernement avait alors réservé le crédit d'impôt pour taxes foncières aux seuls agriculteurs membres de l'UPA. La présidente du Barreau du Québec de l'époque, Me Jocelyne Olivier, avait ainsi admonesté le ministre Landry : «Quelle autre association jouit d'un tel privilège ? Cette disposition inusitée semble abusive et discriminatoire.» Évidemment, de hauts dirigeants de l'UPA ont appuyé le Oui.

Depuis que Laurent Lessard est aux commandes du MAPAQ, l'UPA peut dormir sur ses deux oreilles. Le ministre a notamment ordonné au fiscaliste Luc Godbout de mettre fin à l'étude que lui avait commandée Pierre Paradis sur l'impact des changements au programme de crédit de taxes foncières qui avait été étendu aux agriculteurs non membres de l'UPA le 1er janvier dernier. Devant la grogne de l'UPA, Québec a reculé. Le monopole a été sauvé.

Cette victoire de l'UPA s'ajoute à bien d'autres dérobades du gouvernement : le tablettage de l'impressionnant rapport de la commission d'enquête présidée par Jean Pronovost sur l'avenir de l'agriculture et de l'alimentation, qui avait proposé de mettre fin au monopole de l'UPA (février 2008) ; l'oubli d'un autre rapport Pronovost sur le vécu et les attentes des jeunes agriculteurs, qui avait aussi proposé la fin du monopole de l'UPA (avril 2016) ; et la mise au rancart du rapport de Florent Gagné sur l'acériculture (février 2016), tel que demandé par l'UPA.

Même Maxime Bernier a constaté que l'on doit respecter les agriculteurs. En s'attaquant à la gestion de l'offre, il a perdu la chefferie du Parti conservateur du Canada aux dépens d'un inconnu qui avait défendu la gestion de l'offre.

Personne ne conteste le droit des agriculteurs de défendre leurs intérêts. Toutefois, la puissance de l'UPA, devant laquelle les décideurs politiques s'écrasent, et l'immobilisme que favorise ce syndicat nuisent à l'innovation et à la conquête de nouveaux marchés pour les producteurs et les transformateurs du Québec.

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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