Conflit de visions pour nos terres : la familiale contre l'industrielle


Édition du 06 Mai 2017

Conflit de visions pour nos terres : la familiale contre l'industrielle


Édition du 06 Mai 2017

[Photo : 123RF]

Selon une manchette récente du Devoir (21 avril 2017), l'Union de producteurs agricoles (UPA) juge «inacceptable que l'argent des Québécois serve à concurrencer les agriculteurs du Québec».

Étonnamment, le syndicat des agriculteurs québécois dénonce le fait que la Caisse de dépôt et le Fonds FTQ investiront chacun 10 millions de dollars (M $) en partenariat avec des investisseurs privés, qui ajouteront 30 M $, pour appuyer des agriculteurs désireux d'accroître leur exploitation et d'en vivre convenablement. C'est de l'argent qui sera investi en capital propre, et non sous forme de dette. Personne, à part les agriculteurs eux-mêmes, ne fait ce genre d'investissement en région.

La dénonciation de l'UPA est d'autant plus farfelue que cet apport de capital profitera à ses propres membres puisqu'on ne peut être agriculteur au Québec sans être membre de ce monopole syndical.

La sortie de l'UPA vise Pangea, une entreprise que deux investisseurs bien québécois, le financier Charles Sirois et Serge Fortin, lui-même exploitant agricole, ont créée en 2012 pour donner un nouveau souffle à l'agriculture québécoise. Pangea a déjà investi dans sept sociétés opérantes agricoles (SOA). Les 50 M $ recueillis serviront à créer deux autres SOA et à améliorer l'efficacité des SOA existentes (achat d'équipements et de technologies, drainage des sols, etc.).

Modèle avantageux

Le modèle de Pangea est avantageux pour les agriculteurs désireux d'accroître la superficie de leurs terres, de faciliter le transfert de leur ferme à leurs enfants, de consolider les superficies cultivables, etc. En voici les principaux éléments.

- Chaque partenariat conclu entre Pangea et un agriculteur nécessite la création d'une SOA, qui sera propriétaire des équipements servant à l'exploitation des terres (qui appartiennent soit à Pangea, soit à l'agriculteur partenaire, et non à la SOA). La SOA est détenue à 49 % par Pangea et à 51 % par l'agriculteur qui gère la SOA. L'apport de Pangea consiste en l'achat de ses propres terres, en l'amélioration des sols et en le financement des équipements.

- Le réseau de Pangea procure des économies d'échelle, facilite le partage des connaissances et permet d'avoir de meilleurs prix sur l'achat des équipements, qui est fait en région.

- Aucun achat de terre n'est fait dans un but spéculatif. Les ententes avec les partenaires agriculteurs sont d'une durée d'environ dix ans et sont renouvelables. Les terres sont acquises à leur valeur agroéconomique, établie selon la moyenne des évaluations de deux évaluateurs agréés. Personne n'a intérêt à faire de la surenchère, car celle-ci affecterait la rentabilité de la SOA.

- Les terres conservent leur vocation, car elles sont protégées par la Loi sur la protection du territoire agricole qui, soi dit en passant, interdit l'achat de terres agricoles par des étrangers. Pangea achète parfois des terres en friche et en fait des espaces propres à la culture.

- Puisque les partenaires de Pangea sont des agriculteurs accomplis et que les SOA ont une certaine envergure (la superficie optimale d'une terre est de 800 hectares), celles-ci utilisent des méthodes éprouvées et des technologies modernes, ce qui en fait des exploitations rentables.

Frilosité et concurrence

Même si la dénonciation de l'UPA témoigne d'une certaine nostalgie pour le «modèle agricole familial», comme le dit son président, Marcel Groleau, notre agriculture compte d'importantes entreprises, notamment dans les secteurs du porc, de la volaille, des fruits et des légumes. Ce qui semble déranger l'UPA, c'est le fait que Pangea acquiert des terres plutôt que des usines, comme si la propriété de terres agricoles avait quelque chose de sacré et qu'elle devait être réservée à des agriculteurs.

On peut aussi penser que les projets de Pangea et de ses partenaires financiers dérangent le projet conjoint de l'UPA et du Fondaction CSN de créer une fiducie qui, elle aussi, acquerrait des terres agricoles. Cette fiducie serait dotée d'un fonds de 25 M $. En ajoutant du financement hypothécaire pour 65 % des acquisitions, elle viserait l'achat de 30 à 50 fermes. Selon le plan dévoilé dans La Presse (28 avril 2017), ce projet s'appuie sur une subvention de 30 %. L'UPA serait fiduciaire de l'entité qui achèterait les terres agricoles.

Autrement dit, ce qui est bon pour l'UPA et Fondaction ne le serait pas pour Pangea, même si cette dernière ne demande pas de subvention.

On comprend l'UPA de vouloir protéger les terres agricoles, et c'est ce que permet de faire autant le modèle de Pangea que celui de Fondaction. Malheureusement, il y a dans l'attitude de l'UPA une frilosité insensée quant à la productivité qu'apporte le modèle de Pangea.

Par ailleurs, il serait injustifiable de subventionner une entreprise en concurrençant une autre qui peut faire mieux sans compter sur l'argent des contribuables.

Pour approfondir le sujet, consultez notre dossier «Agriculture et agroalimentaire».

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La saison des impôts a encore une fois montré l'obligation ridicule qu'ont les contribuables québécois de produire deux déclarations de revenus. Québec perçoit déjà la TPS fédérale. Ne pourrait-on pas jumeler la perception des impôts sur le revenu ?

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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