Achats gouvernementaux regroupés: un projet à améliorer


Édition du 09 Novembre 2019

Achats gouvernementaux regroupés: un projet à améliorer


Édition du 09 Novembre 2019

(Photo: Arlington Research pour Unsplash)

CHRONIQUE. If it ain't broke, don't fix it. Comme le dit avec justesse cet adage anglais, pas besoin de réparer ce qui n'est pas cassé.

C'est pourtant l'impression que dégage la lecture du projet de loi 37, qui vise à créer deux immenses organismes, le Centre d'acquisitions gouvernementales (CAG) et Infrastructures technologiques Québec (ITQ).

Il s'agit d'un projet de loi costaud qui part d'excellentes intentions, mais dont l'enfer est pavé, dit-on. En effet, on a tous entendu parler des déboires dans les achats et la gestion des services informatiques du gouvernement et dans l'administration du Centre de services partagés du Québec. Il importe de se souvenir que les défaillances étaient dues davantage à des lacunes dans l'exécution des activités de ces organismes qu'à leurs structures.

Que propose le projet de loi ? Surtout une grande réforme des structures et de la gouvernance des services d'approvisionnement du gouvernement, comme l'a fait le ministre Gaétan Barrette dans la santé et les services sociaux. Cette dernière réforme a surtout consisté à regrouper des dizaines d'entités et à centraliser leur gestion. Or, il n'est pas sûr que l'on ait amélioré les services à la population. Reconnaissons toutefois, à la décharge du Ministre, que sa réforme a coïncidé avec l'effort de réduction des dépenses du gouvernement Couillard.

C'est une tendance lourde dans les gouvernements de vouloir réparer les erreurs passées par des réformes de structures. Malheureusement, ce n'est pas une recette éprouvée. D'où cet appel à la prudence quant à la portée du projet de loi 37.

Les objectifs du projet de loi

Comme son nom l'indique, le projet vise à réunir dans ITQ les achats de services informatiques et à fondre dans le CAG cinq regroupements d'achats, soit le Centre de services partagés du Québec (486 millions de dollars), Collecto Services regroupés en éducation (144 M$), le Groupe d'approvisionnement en commun de l'Est du Québec (413 M$), le Groupe d'approvisionnement en commun de l'Ouest du Québec (1 029 M$) et SigmaSanté (742 M$). Alors que le premier de ces organismes est surtout consacré aux achats des ministères et que Collecto travaille auprès des réseaux de l'éducation, les trois autres unités se consacrent aux achats du réseau de la santé. Total des achats ainsi regroupés en 2017-2018 : 2,8 milliards de dollars, ce qui représente 32 % des achats totaux du gouvernement.

Le gouvernement veut accroître la proportion des achats regroupés, de façon à obtenir des économies annuelles de 295 M$ dès 2020-2021. C'est un objectif ambitieux qui est probablement aussi irréaliste.

En réalité, on ne sait trop d'où viendront surtout ces économies. On sait toutefois que les réorganisations gouvernementales peuvent être longues et coûteuses, sans compter que la réforme visée causera des bris dans les réseaux d'approvisionnement actuels et certains écosystèmes, comme ceux existant autour de certaines institutions régionales (cégep, universités, centres hospitaliers), desquelles dépendent une panoplie de services professionnels et de fournisseurs de services techniques.

Les effets pervers de la réforme proposée

Comme le démontre éloquemment le mémoire déposé par la Fédération des cégeps, qui a créé le regroupement d'achats volontaire Collecto, dont sont membres les 48 cégeps du Québec, 65 commissions scolaires, 19 collèges privés, l'École de technologie supérieure et l'Institut de tourisme et d'hôtellerie, la centralisation proposée par le projet de loi 37 créera plusieurs effets non désirables si elle est mise en oeuvre telle qu'elle est proposée dans le projet de loi 37 :

> Perte d'agilité pour certains achats de produits précis et d'équipements spécialisés pour l'enseignement de certaines techniques ;

> Destruction des écosystèmes d'approvisionnement des cégeps et des commissions scolaires, qui sont des leviers économiques dans les différentes régions du Québec ;

> Affaiblissement majeur, et peut-être disparition de coops étudiantes, qui sont non seulement des fournisseurs de ces institutions, mais aussi des lieux d'apprentissage en gestion et en gouvernance pour les étudiants ;

> Hausse de coûts. Collecto a documenté plusieurs exemples d'approvisionnement montrant que ses prix étaient inférieurs à ceux du Centre de services partagés du Québec ;

> Insuffisance des stocks de fournitures en région ;

> Risque accru de retard dans le respect des échéances de livraison de biens et de services.

Globalement, le CAG se révélera probablement un immense monopole, avec l'arrogance et la lourdeur qui caractérisent toujours ce genre de structure.

Bien sûr, si les deux organismes proposés par Québec sont dotés d'une gouvernance solide, d'une structure de gestion de qualité, il se pourrait qu'elles livrent certaines des économies attendues. Par contre, il est presque certain qu'ils ne pourront pas rivaliser avec l'actuel regroupement d'achats des institutions d'enseignement.

Selon un sondage CROP réalisé en juin dernier, 99 % de la clientèle de Collecto est satisfaite des services rendus par ce regroupement. Pourquoi alors le gouvernement ne suspendrait-il pas l'application de l'article concernant son intégration au CAG, le temps de bien évaluer (ce qui n'a pas été fait) les avantages et les inconvénients de cette proposition ?

Puisque le diable est dans les détails, comme l'a dit Nietzsche, il faut se méfier des grandes réformes et des grosses structures. Cette prudence devrait s'appliquer dans le cas du projet de loi 37.

Divulgation : l'auteur de cette chronique est administrateur dans un cégep.

Précision : contrairement à ce qui a été écrit ici le 28 octobre, les bouteilles de bière de type Heineken et Corona font l'objet une consigne.

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J’aime

Le ministre et président du Conseil du trésor, Christian Dubé, a dit vouloir étudier la possibilité de réviser la règle du plus bas soumissionnaire dans l’octroi des contrats publics. Cette règle contribue à négliger la qualité, le côté innovateur et la durabilité des travaux et des projets accordés à des entrepreneurs par le gouvernement, les municipalités et les organismes du secteur public.

Je n’aime pas

Pour redorer son blason, le président de Facebook, Mark Zuckergerg, a dit vouloir lancer Facebook News, un service qui diffusera des textes des médias traditionnels. Ces textes seraient choisis par ses propres employés et les grands médias recevraient une rémunération. Aucun montant n’a été divulgué. Plusieurs grands médias se sont montrés favorables à l’idée, mais ce projet reste obscur. On peut se demander si cette proposition sera vraiment aussi dans l’intérêt des médias traditionnels.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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