«Le risque politique est partout»

Publié le 03/06/2021 à 07:00

«Le risque politique est partout»

Publié le 03/06/2021 à 07:00

réfugiés

Quand on y pense, le risque politique est partout. Sur notre photo, des réfugiés syriens dans un camp en Grèce en 2020. (Photo: Julie Ricard pour Unsplash)

BLOGUE INVITÉ.  Un nombre croissant de banques, de compagnies d’assurance, de sociétés d’État, d’organisations humanitaires et d’agences de notation s’intéressent à l’analyse du risque politique (ARP) afin de comprendre les conséquences du contexte géopolitique sur leurs activités.

Certaines cherchent de manière stratégique à mettre au point une expertise interne et des outils d’analyse pour la prévention, l’évaluation et le suivi de situations de nature politique. D’autres — comme les directions de gestion du risque et les directions de sûreté de grandes entreprises ou encore les cellules de renseignement économique et de gestion de crise des ministères — font de l’ARP sans le formuler de manière explicite. Souvent, des praticiens improvisent des études avec des données colligées ici et là, sans avoir recours à une démarche systématique ou appuyée sur la recherche scientifique.

Par rapport à une épidémie, au chômage, à un krach boursier ou aux collisions de la route, le risque politique peut paraître secondaire et ne pas nécessiter de dispositif particulier. Pourtant, les conséquences d’un «accident politique» peuvent être tout aussi graves pour les individus, les organisations et les sociétés. […] Un événement relativement rare (un enlèvement, la chute d’un régime, l’arrivée au pouvoir d’un président antisystème) et de nature politique (une revendication terroriste, un acte de corruption, une élection) entraîne des conséquences matérielles (valeur en bourse, politique commerciale) ou humaines (famille kidnappée, chômeurs dans les secteurs touchés) considérables.

On peut en effet définir le risque politique comme la probabilité que des décisions, des événements ou des conditions politiques provoquent des dommages économiques, financiers, matériels et d’infrastructures pour les entreprises et les gouvernements, auxquels il convient d’ajouter les dangers et les menaces pouvant compromettre l’intégrité physique et mentale des personnes. Expropriations qui aggravent la situation économique au Venezuela, gouvernement incapable de légiférer pendant des mois en Belgique, réfugiés syriens qui bouleversent le jeu politique dans les pays voisins: quand on y pense, le risque politique est partout.

 

Public et privé

L’ARP est une pratique qui concerne à la fois les secteurs public et privé. Des banques comme HSBC et des compagnies d’assurance comme Swiss Re s’en servent pour planifier leurs prêts, leurs investissements ou les polices qu’elles proposent à leurs clients. Les agences de crédit comme Standard & Poor’s et de soutien aux exportations comme la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (Coface) ou Exportation et développement Canada (EDC) estiment la probabilité de défaut ou de choc réglementaire résultant de décisions politiques. Des gestionnaires de fonds de retraite et des institutions financières, comme la Caisse de dépôt et placement du Québec, calculent les risques politiques liés à leurs investissements dans le monde.

Les ministères des Affaires étrangères utilisent l’ARP pour émettre leurs consignes aux voyageurs — notamment par l’entremise de cartes indiquant les zones dangereuses à éviter — alors que les commissions sur le statut de réfugié peuvent y avoir recours pour déterminer la menace qui pèse sur un demandeur d’asile.

Depuis longtemps, les agences de renseignement et les ambassades pratiquent une forme d’analyse du risque politique qui ne dit pas son nom en recueillant des informations sur le contexte politique de pays étrangers. De plus en plus, des cabinets de conseil comme Eurasia Group, Oxford Analytica, Stratfor ou SecDev proposent des analyses aux entreprises et au secteur public.

L’ARP s’étend aussi au monde des organisations non gouvernementales (ONG) qui traitent de coopération internationale de questions humanitaires, où elle sert d’outil pour assurer la sécurité du personnel déployé sur le terrain et envisager la faisabilité des projets à mettre en place dans les pays en développement.

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Pour ce billet, j'ai partagé avec vous l’extrait d’un ouvrage des plus à-propos pour ce blogue: L’analyse du risque politique, publié en mars dernier aux Presses de l’Université de Montréal. Transparence totale, ce sont mes collègues du CÉRIUM Adib Bencherif et Frédéric Mérand qui ont codirigé ce collectif et j’y signe l’avant-propos. Premier du genre en français, il s’agit d’un manuel pour qui veut s’initier à la pratique de l’analyse du risque politique, en interroger les fondements ou la perfectionner.


 

À propos de ce blogue

Fellow et responsable de communications au Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (CÉRIUM), Jean-Frédéric Légaré-Tremblay (JFLT) retourne ici à ses anciennes amours. Jadis reporter international pour plusieurs médias, cofondateur du Fonds québécois en journalisme international, il a posé son regard et ses questions dans les mines du désert de Gobi, dans les écoles de Corée du Sud, dans les champs pétrolifères du Dakota du Nord et chez les réformateurs d'Ukraine. Dans ce blogue, JFLT adresse ses questions à des experts des enjeux géopolitiques, afin de cerner les risques (et les occasions) d'affaires que génèrent les mouvements du monde.

Jean-Frédéric Légaré-Tremblay

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