Le télétravail: dystopie et invasion de domicile?

Publié le 18/06/2020 à 13:34

Le télétravail: dystopie et invasion de domicile?

Publié le 18/06/2020 à 13:34

Une caméra web

(Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Plusieurs organisations hésitaient depuis quelques années à mettre en place le télétravail. La volonté naturelle des gestionnaires à maintenir une certaine forme de contrôle sur le travail des employés en a rendu plusieurs hésitants.

Alors que certains trempaient graduellement l’orteil à l’eau pour tester la température, le COVID-19 les a littéralement jetés dans l’eau froide!

Alors, efficace ou pas le télétravail? Il y a autant d’avis que de personnes: il est très difficile de générer un constat universel sur cette pratique sans tenir compte de la nature des emplois, la personnalité des individus et du contexte de l’entreprise.

Quelques principes généraux semblent toutefois émerger.

  1. Si nous n’avions pas accès au télétravail auparavant, cette option offre de multiples avantages. Il est difficile de voir des désavantages à éviter la circulation abondante du matin alors que notre cerveau est à son maximum de potentiel.
  2. Rien ne remplace les interactions en chair et en os. Le télétravail, ça dépanne, mais une longue période sans présentiel, c’est difficile pour l’informel. L’amour à distance, c’est possible, mais difficile. Qui aurait cru au début 2020 que le mot zoomitude serait dans le langage courant?
  3. Comme le dit bien le célèbre adage, la modération a bien meilleur goût. Et c’est bien ainsi. Levez la main ceux qui sauteraient de joie à l’idée de travailler du bureau les lundi-mercredi-vendredi, alors que les mardi et jeudi sont à la maison? Déjà toute une amélioration de la qualité de vie.

 

La dystopie du télétravail?

Ceci dit, alors que le télétravail s’est implanté non pas graduellement mais de façon exponentielle et soudaine, il faudra collectivement prendre un pas de recul et faire preuve de prudence dans ses modalités d’implantation. Et s’assurer que les employés, enthousiastes face à cette opportunité, ne sacrifient pas une partie de leur liberté et dignité.

Est-ce que le télétravail plongera la société dans une dystopie, soit un «univers totalitaire dont les interactions reposent sur la technologie et qui empêche ses habitants d'accéder au bonheur ou à la liberté?»

Pensons aux jeunes cadres il y a 20 ans qui étaient tous fiers d’avoir le cellulaire fourni par l’entreprise, confondant liberté de mouvement et emprise 24/7! Et maintenant en télétravail, vous pouvez suivre la disponibilité d’un collègue sur votre intranet et demandez à être avisés dès que son statut devient «Disponible» sur la plateforme de message interne. Et constater la présence ou non en ligne de certains collègues tôt le matin ou tard le soir. Le patron qui soulignera dans une rencontre d’équipe avoir remarqué votre présence hier à 22h envoie-t-il le message à toute l’équipe que c’est valorisé?

Les risques sont déjà présents. Apparaissent d’ailleurs sur le marché des logiciels de surveillance en entreprise qui vont jusqu’à analyser la vitesse et la fréquence d’écriture sur le clavier. Pire, à prendre une photo de vous à partir de votre caméra web à tous les 10 minutes afin de valider que vous êtes bien au travail?

Poussons l’exercice plus loin: imaginez une caméra qui vous regarde toute la journée et propose une analyse de reconnaissance faciale qui trace les émotions exprimées par votre visage. Le logiciel détecte un certain niveau de découragement et de frustration chez vous. Votre patron reçoit ainsi un signalement qui l’invite à vous écrire un courriel et à prendre de vos nouvelles; plusieurs options de messages automatisés lui sont d’ailleurs proposées. Fiction? Jamais vous n’accepteriez ça, dites-vous! Pourtant, qui aurait cru il y a 15 ans que nous partagerions autant de données avec nos téléphones intelligents sans rechigner?

Les prochaines années seront critiques en matière de gestion à distance. Le télétravail offre une opportunité en or d’augmenter à la performance et la qualité de vie des travailleurs, tout en ayant des impacts positifs sur l’environnement. Assurons-nous d’être collectivement vigilants pour créer un monde meilleur…et non pas une dystopie digne d’un épisode de Black Mirror!

 

À propos de ce blogue

Ce blogue est une invitation à questionner notre rapport avec la performance à l’ère 4.0. Le monde a changé, mais est-ce que notre façon d’envisager le succès au travail a suffisamment évolué? Consultant en développement organisationnel, spécialiste du monde du travail, enseignant à HEC Montréal, et conférencier, Jean-François Bertholet met tout son cœur à explorer de grands principes, parfois contre-intuitifs, afin d’optimiser votre propre performance et celle de vos collaborateurs.

Jean-François Bertholet