Le Canada, un pays habité par des riches

Offert par Les Affaires


Édition du 13 Octobre 2021

Le Canada, un pays habité par des riches

Offert par Les Affaires


Édition du 13 Octobre 2021

(Photo: 123RF)

CHRONIQUE. Selon le récent palmarès du magazine Forbes, le Canada compterait 64 milliardaires en 2021, soit 10 de plus qu’il y a un an. Notre pays arrive au huitième rang parmi ceux qui comptent le plus de milliardaires sur la planète. C’est tout de même inouï, pour un pays certes riche, mais si peu populeux en proportion.

Lorsqu’on compare en proportion de la population, c’est encore plus frappant. Le Canada arrive au quatrième rang, après les États-Unis, Taiwan et l’Australie — mais dans les deux derniers cas, à peu de choses près, 1,68 milliardaire par million d’habitants contre 1,99 et 1,71 pour Taiwan et l’Australie, respectivement. Qui plus est, le Canada a exactement deux fois plus de milliardaires que le Royaume-Uni, alors que son PIB est 1,7 fois moins important ! Pourtant, le Canada est reconnu comme étant une juridiction aux taux d’imposition élevés et possédant un des systèmes de redistribution les plus équitables du monde. Les États-Unis d’Amérique, perçus comme le pays capitaliste par excellence, ont à peine 1,3 fois plus de milliardaires que « nous ».

Qu’est-ce qui explique cela ? D’avance, je n’aipas la réponse. Mais la question mérite d’être creusée.

J’ai d’abord cru qu’une partie de l’explication résidait dans nos grandes richesses naturelles. Mais non. Les milliardaires canadiens ont fait fortune autant dans la technologie (comme David Cheriton), les médias (David Thompson, la plus grande fortune du pays), le commerce de détail (Alain Bouchard) ou la finance (Stephen Jarislowsky) que dans l’alimentation (Lino Saputo), pour n’en nommer que quelques-uns.

Posséder une fortune valant plus de 1 milliard de dollars (G$) n’est pas rien. Bien sûr, il s’agit d’un plafond symbolique très fort. D’un autre côté, il s’agit d’un levier financier énorme. On ne parle pas ici d’avoir un actif net de 2 ou 3 millions de dollars, qui est accessible à bien des familles de la classe moyenne au moment de la retraite. On parle de 1 000 fois plus. Selon Forbes, la fortune totale des milliardaires canadiens est présentement de 231 G$, en hausse de 88 G$ par rapport à l’an dernier, une hausse de 38 %. Essayez de battre ça avec votre REER autogéré. On fait de l’argent avec de l’argent.

Une partie de la réponse repose peut-être dans l’arrangement institutionnel de notre pays. Certes, nous avons un système social fort et des mécanismes de redistribution du revenu solides. Mais en même temps, dans ses livres et films, la fiscaliste Brigitte Alepin montre que le Canada fait partie d’un système mondial qui permet l’optimisation fiscale en collaboration avec les paradis fiscaux. Nous y participons malgré nous.

Nos lois sur l’impôt sont à ce point complexes qu’une sous-ministre en titre du Revenu m’a déjà avoué (publiquement) qu’aucun fonctionnaire n’est en mesure de les comprendre dans leur entièreté. Des cabinets de fiscalistes et comptables font fortune pour les contourner.

Il y a là quelque chose d’indécent. Faire de l’argent, faire fructifier ses épargnes n’est évidemment pas une tare. L’actif net des familles canadiennes était en 2019 de 329 000 $ ; celui du quintile inférieur, de… 3000 $.

Il y a quelque chose de profondément déréglé dans cette situation.

À propos de ce blogue

Le monde et les temps changent. Rapidement. Le monde industriel se transforme à grande vitesse. Les régions se réinventent. Notre rapport au temps et à l’espace se bouscule très rapidement. Pour le comprendre, il faut souvent un pas de recul. C’est ce que propose cette chronique : ancrée dans l’actualité tout en portant un regard vers l’histoire qui n’est rien d’autre que notre futur. Depuis plus de 25 ans, l’économiste indépendant Ianik Marcil analyse les transformations industrielles et documente leurs impacts sur nos communautés. Ceux-ci sont multiples : économiques, bien sûr, mais aussi sociaux, environnementaux et même culturels. Sa chronique souhaite ouvrir nos horizons sur ces nouvelles réalités changeantes.

Ianik Marcil

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