«On ne révolutionnera pas tout avec le bitcoin»

Publié le 21/11/2017 à 15:38

«On ne révolutionnera pas tout avec le bitcoin»

Publié le 21/11/2017 à 15:38

Vous connaissiez peut-être déjà Jonathan Hamel. Eh bien pas moi. Alors quand le gars m'a qualifié de «semi érudit» sur Facebook en réaction à ce billet, je lui ai proposé de venir étaler tout son savoir autour d'un café. Ce qu'il a gentiment accepté. Je lui ai donc offert un cappuccino, j'ai pris un petit corsé pour l'accompagner, et me suis finalement retrouvé à boire ses paroles pendant près d'une heure.

Car j'avais face à moi, sans le savoir, le fondateur de l'Académie Bitcoin de Montréal, une firme de formation et consultation pour les dirigeants d’entreprises. C’est que Jonathan a adopté précocement le bitcoin vers 2013. Formé en informatique et réseautique, entrepreneur spécialisé dans le paiement mobile, il s’est intéressé très tôt aux promesses de cette nouvelle technologie. Et conseille maintenant jusqu'à l'AMF.

Voilà le résumé de notre discussion sur les enjeux, défis et limitations du bitcoin en tant que révolution informatique mais aussi en tant qu'opportunité financière.

Bitcoin, le «miracle» technologique

- Le bitcoin, à la fois monnaie et technologie, fascine de plus en plus. Mais les gens ne semblent pas comprendre davantage. Nous serions pourtant en train de vivre une nouvelle révolution?

Oui, un peu comme l’internet en son temps. Regardons les acteurs que ça attaquait à l’époque, comme Bell ou les Postes. Internet est aujourd’hui un canal important des revenus de Bell. Je pense bien qu’il vend plus de forfaits de données que de minutes d’appel interurbain. Et on avait prédit la mort des Postes mais je pense qu’elles livrent plus de colis que jamais grâce au commerce en ligne.

C’est un peu l’histoire de toutes les disruptions d’internet. Par exemple, la diffusion en continu avec Spotify; Amazon, Uber... Ces révolutions-là favorisent toujours ultimement le consommateur. Le consommateur a plus de choix. Et ça donne aussi plus d’opportunités aux entreprises.

Pourtant, le bitcoin n’est qu’un amalgame. J’utilise souvent l’exemple d’Henry Ford. Il n’a pas inventé le moteur à explosion, la roue ou le pneu. Il a fait un amalgame de technologies existantes dans un véhicule intéressant pour le consommateur.

- Qu'apporte-t-il comme innovation aussi intéressante le bitcoin, sans trop de détails techniques?

Il y a eu beaucoup d’essais de monnaies numériques avant, mais elles avaient toujours un problème de centralisation. C’est là que bitcoin amène l’innovation avec la distribution de la preuve de travail à travers la blockchain. C’est vraiment une innovation informatique majeure.

Il n’y a jamais eu dans l’histoire un outil qui permettait de prouver l’authenticité d’un actif mathématiquement et sans intermédiaire. La preuve via la blockchain est absolue, cryptographique.

En plus, dans l’écosystème bitcoin, tout le monde a un incitatif à être honnête, même si on ne se fait pas confiance, le système fonctionne quand même. C’est la blockchain de bitcoin qui coûte le plus cher à falsifier, autrement dit.

- Les aspects de décentralisation et de distribution du système restent particulièrement difficiles à saisir. Le grand public semble ne pas mesurer l’importance du bitcoin.

C’est vrai. On se demande comment une technologie qui est complètement ouverte, et peut donc être copiée instantanément, parviendrait à fonctionner sans qu’aucune autorité centrale ne la contrôle et sans qu’il y ait un endroit où cogner pour se plaindre en cas de problème.

Mais prenons l’exemple des mathématiques. Il n’y a pas d’autorité suprême des mathématiques sur la planète qui établit que 1+1 font deux. Non, il y a une preuve scientifique qui a été établie et est maintenue dans le temps. Des institutions se sont formées autour mais personne ne les commande. Il y a un consensus. Pareil pour le bitcoin.

Bitcoin, le projet informatique, est d’ailleurs l’un des papiers de recherche les plus cités en sciences informatiques. Des dizaines et des dizaines de travaux universitaires se concentrent dessus.

- Pourtant, ce n’est pas l’émerveillement qui domine les conversations. Les non-initiés ne tiennent pas une minute sans parler du darkweb, des piratages de portefeuilles de bitcoin…   

Les gens insistent sur le fait que le bitcoin a été piraté. Non, des acteurs d’échange comme BitFinex ou MtGox se sont faits pirater mais la cryptographie de bitcoin demeure intacte.

La cryptographie de bitcoin est la même que quand on utilise Gmail ou quand on fait notre commerce en ligne. Et si bitcoin était vraiment piraté, ce serait le cadet de nos soucis car cela voudrait dire que l’internet commercial ne fonctionne plus.

J’aime le terme de Nassim Taleb, l’auteur du livre Black Swan: antifragile. C’est un peu ce qu’est bitcoin, plus il est sous pression, plus il est solide.

- Depuis son lancement, les hackeurs essaient de percer cette sécurité, en vain.

Absolument. Parce que tu as une prime de 100 milliards si tu réussis. Et elle n’a toujours pas été réclamée. Tout le monde pense qu’on peut perdre les bitcoins. Non, pas si c’est entreposé de façon sécurisée. La seule façon de te voler les bitcoins, ce serait de trouver ta clé privée. Et pour la trouver, je devrais essayer au hasard 2 exposant 256 combinaisons. Il y a peut-être moins d’atomes dans l’univers.

La sécurité de bitcoin repose sur la solidité de la cryptographie moderne qui est un miracle en soi. C’est extrêmement facile à encrypter mais extrêmement difficile à décrypter sans la clé.

- Ça ouvre la porte à d’innombrables applications.

C’est la création d’une toute nouvelle industrie qui va permettre à des gens de prouver l’authenticité d’un produit ou d’un document sans intermédiaire.

Prenons les problèmes de contrefaçon. Je travaille sur un projet avec une société pharma qui veut prouver l’authenticité de ses médicaments sur les marchés émergents. Là-bas, les gens achètent des médicaments à la pharmacie mais ils sont possiblement faux. Ce n’est pas sur le marché noir. Mais le pharmacien ou le fournisseur a peut-être pris les vrais pour les vendre sur le marché noir et les a remplacés par des copies.

- La blockchain de bitcoin va combler le manque de confiance dans la chaîne d’approvisionnement.

Oui car tu pourrais scanner un code QR sur l’emballage et t’assurer que chaque intermédiaire de la chaîne a signé numériquement la transaction. Ça se fait de façon programmatique par les acteurs et le client final peut vérifier son médicament.

- Même chose avec les produits de luxe, l’alimentaire…

Oui, et c’est révolutionnaire. Le coût de falsification de la blockchain serait stratosphérique. La confiance est donc absolue.

Mais ce n’est pas nécessaire dans tous les cas, on ne basera pas toutes les industries sur la blockchain. Seuls certains produits nécessiteront ce niveau de confiance-là. Il y a beaucoup trop de hype autour de ce qui sera ou non sur la blockchain.

À mon avis, ça révolutionne les processus où il y a des possibilités de contrefaçon. La proposition de valeur du bitcoin, c’est que c’est un actif numérique dont la possession est unique et traçable.

Il y a tout un nouvel ensemble de services professionnels qui vont être développés autour.

- Mais l’avenir du bitcoin va probablement dépendre de l’éducation, de la vulgarisation, pour favoriser l’adoption?

Oui car tant mon ami plombier que mon ami doté d’un PhD en informatique ne comprennent pas encore. C’est normal car ça demande une série d’apprentissages complexes qui une fois mis ensemble donnent un nouveau paradigme.

C’est une mission importante que ne remplit pas forcément la communauté bitcoin qui, il faut l’avouer, est assez confrontationnelle. Sans parler de l’élite cryptographique. L’éducation est donc très difficile.

Mais la situation évolue. Je participe en tant que conseiller au comité Innovation technologique de l’Autorité des marchés financiers, mis en place en janvier 2017. Je pense que c’est un bon signal de voir que les régulateurs et les gouvernements s’intéressent à ça et invitent des gens de la communauté à au moins les éduquer sur les menaces mais aussi les opportunités du bitcoin. Notamment l’intérêt de financiariser le bitcoin.

 

À suivre:

Bitcoin, l’incontournable actif financier


À propos de ce blogue

Une nouvelle ruée vers l’or, numérique cette fois? Une arnaque, un piège sans fonds? Le débat s'est intensifié fin 2017 alors que la valeur des «monnaies virtuelles» a rapidement passé le cap des 200 milliards de dollars. De la blockchain aux kitties, en passant par le bitcoin, qui ne voudrait pas exploiter ces filons technologiques? Mine de rien est un blogue qui cherche les pépites de l’info dans le monde de la crypto.

François Remy