Wal-Mart : le début de la fin ?


Édition du 14 Novembre 2015

Wal-Mart : le début de la fin ?


Édition du 14 Novembre 2015

L'histoire se passe il y a une dizaine d'années. Les tensions sont grandes au Québec entre Wal-Mart et les syndicats, alors que des demandes d'accréditation sont pendantes et que le géant américain manoeuvre pour s'en dégager.

Direction Bentonville, aux États-Unis, chef-lieu de Wal-Mart, pour aller sentir l'atmosphère à l'occasion de l'assemblée annuelle.

Première étape du voyage : une visite au Supercenter de l'endroit pour tenter de voir ce qu'on y dit sur les conditions de travail.

Personne ne veut trop parler et, au bout d'une demi-heure, le gérant adjoint se pointe. Deux employés m'ont dénoncé.

Explication de la démarche.

«Non, non, vous n'êtes pas journaliste, soyons sérieux. Reconnaissez que c'est le siège social qui vous envoie !» lance-t-il.

Le surlendemain, autre visite au Supercenter, après que, la journée durant, les hauts dirigeants du détaillant n'aient cessé de répéter que les relations sont bonnes avec les employés. Et que, surtout, ils sont sans cesse à l'écoute de la clientèle.

- Vous n'auriez pas des cartes d'appel prépayées pour l'international ? Il faut que je téléphone régulièrement à mon journal, et ça nous permettrait d'économiser.

L'employé se lance dans une vaste recherche et, finalement, au fin fond du magasin, au bas d'un étalage : bingo.

- Vous devriez mettre ça davantage en vue. Avec le nombre de visiteurs de l'international qui viennent pour l'assemblée annuelle, vous en vendriez beaucoup.

Le jour suivant, un imprévu nous force à arrêter au Supercenter. Les portes s'ouvrent. Et au beau milieu de l'entrée principale, incontournable, un présentoir rempli de cartes d'appels !

Stupéfaction du journaliste. «Ah ben ! Par peur, ou par sens du devoir, ils sont vraiment à l'écoute. Y'a rien qui va battre Wal-Mart !»

Les choses ont bien changé

Dix ans plus tard, les choses ont bien changé. Wal-Mart est toujours le plus important détaillant du monde, mais c'est un géant aux pieds d'argile. En 2015, pour la première fois, ses revenus devraient reculer. Et certains se demandent si on n'est pas sur le point d'assister à un nouveau K-Mart ou Sears.

Que s'est-il passé ?

Les causes sont multiples. Dans le désordre :

> La concurrence s'est accrue dans le secteur du commerce de détail. Sur les cendres des petits établissements qu'écrasait Wal-Mart ont poussé de nouveaux rivaux, toujours petits, mais mieux outillés que leurs prédécesseurs. Les magasins à 1 $ se multiplient, et c'est à leur tour de voler des parts de marché.

> Les plus grands détaillants, comme Target et Costco, n'ont pas baissé pavillon et continuent à prendre plus d'espace.

> Le créneau de l'épicerie, dans lequel le géant américain tire aujourd'hui 55 % de ses revenus, a vu apparaître des rivaux. Des épiciers comme Save-A-Lot, Grocery Outlet, Food Basics, Ruler Foods et Joe V's réduisent les prix d'une manière qui n'était pas anticipée. Certains ne vendent que des marques privées, d'autres se spécialisent dans l'achat de surplus de stocks, de biens de fin de série, ou de biens dont l'emballage a été modifié.

> En 2005, Amazon était encore une société dont on doutait du modèle d'affaires. Elle fait aujourd'hui des milliards de dollars et gruge dans l'assiette de Wal-Mart.

> Au fil des ans, le détaillant semble avoir comprimé ses coûts à l'excès. Résultat : le détaillant a ajouté trop de services sous la responsabilité de ses superviseurs et a trop diminué son personnel.

Y'a-t-il un remède ?

Wal-Mart croit que oui et vient d'annoncer un plan majeur de réinvestissement dans ses activités. Le plan fera reculer son bénéfice de 6 à 12 %, mais, espère-t-elle, lui permettra ensuite de rebondir.

Au nombre des mesures, le détaillant a haussera le salaire horaire minimum de ses employés, qui passera de 9 $ à 10 $ US. Il veut aussi ajouter des heures et augmenter son personnel.

Un plus grand nombre d'employés permettra d'accélérer le passage à la caisse et de maintenir les tablettes remplies.

Un chef de service n'aura plus à gérer les services de la chaussure, de la lingerie et des bijoux. Il y aura trois gestionnaires. Cela devrait permettre de dynamiser la mise en marché et de mieux cibler les tendances.

En parallèle, Wal-Mart entend aussi investir dans le secteur alimentaire. Le détaillant souhaite offrir de meilleurs produits frais. Il sera aussi possible de commander son épicerie à l'avance sur n'importe quel appareil (portable, tablette, ordinateur) et passer la prendre au magasin. Une expérience pilote menée à Denver, au Colorado, a apparemment permis de constater que 25 % des clients qui se prévalaient du service étaient de nouveaux clients.

Dans le commerce électronique, enfin, des centres de distribution seront ajoutés afin de raccourcir les délais de livraison.

Temps de se positionner dans Wal-Mart ?

Le titre se négocie actuellement à 14 fois le bénéfice de 4,08 $ US par action prévu l'an prochain (janvier 2017), un recul d'environ 11 % par rapport à ce que devrait être le bénéfice de cette année. La direction prévoit que son bénéfice pourrait rebondir à 5 $ US d'ici deux à trois ans.

Wal-Mart demeure un géant, et la croissance est plus difficile à générer lorsqu'on a une forte taille. En postulant un multiple historique de marché de 15, c'est un titre qui pourrait se négocier à environ 75 $ US sur deux ou trois ans. C'est 30 % sur la période.

Pas mauvais, mais il faut que le plan fonctionne. Et la preuve reste à faire. Protéger le fort ne veut pas dire en conquérir d'autres. Le risque de recul semble limité, mais le potentiel de gain aussi.

Suivez François Pouliot sur Twitter @f_pouliot

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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