«The big, big cut»


Édition du 11 Mars 2017

«The big, big cut»


Édition du 11 Mars 2017

Que faire ? Où faut-il placer les nouvelles liquidités ? Depuis le début de l'année, la question est dans l'esprit de tous les investisseurs.

Normal. Les cours boursiers sont élevés par rapport aux ratios historiques. La faute de Donald Trump, qui, depuis son élection, a fait avancer la Bourse américaine de 12 %.

Le président américain a jeté une nouvelle dose d'optimisme, il y a quelques jours, lorsque dans sa première allocution au Congrès, il est revenu sur son projet d'abaisser l'impôt des entreprises. «That will be a big, big cut !» a-t-il affirmé.

Il n'en fallait pas plus pour que les indices boursiers caracolent et que le Dow Jones fracasse un nouveau record. Wall Street est en liesse dans l'attente de ces baisses d'impôts et d'un programme d'infrastructures majeur qui devrait ajouter 1 trillion de dollars américains sur une dizaine d'années.

Trop d'espoirs ?

Regardons-y de plus près.

Aux-États-Unis, le S&P 500 se négocie aujourd'hui à 20,7 fois le bénéfice réalisé en 2016, à 18,5 fois celui anticipé par les analystes pour 2017, et à 16,3 fois celui pour 2018 (selon la recension Bloomberg).

Au Canada, le S&P/TSX est à plus de 22 fois le bénéfice 2016, à près de 17 fois celui anticipé pour 2017 et à 15 fois celui anticipé pour 2018.

Ces niveaux sont-ils trop élevés ?

À première vue, sur une base historique, oui. Les indices américain et canadien se sont en moyenne négociés autour de 15 fois le bénéfice de l'année à venir (2017 dans notre cas).

À 18,5 et 17 fois les bénéfices anticipés pour 2017, New York et Toronto affichent dans le contexte des évaluations riches. Mais pas nécessairement trop riches. Si l'on se transporte dans un an, en 2018, les multiples sont dans la moyenne.

La question est évidemment aujourd'hui de savoir si les cibles de bénéfices en vue sont atteignables.

Aux États-Unis, pour que la réalité rejoigne les anticipations, et que la Bourse tienne dans les prochains mois, il faut que les bénéfices avancent de 13,2 % en 2017 et de nouveau de 12 % en 2018. Au Canada, le pas nécessaire est encore plus grand, avec une progression anticipée de 32 % et de 12 % l'année suivante.

Si tel n'est pas le cas, les ratios risquent de devenir élevés, et la Bourse, de reculer.

Ces croissances anticipées sont-elles réalistes ? Au Canada : douteux. L'OPEP a beau avoir un accord, les prix pétroliers ne pourront pas aller bien au-dessus des 50 $ US (à 53 $ US aujourd'hui) sans que les producteurs ajoutent de la production. Le catalyseur ne semble pas assez puissant pour justifier une telle progression. Le prix des métaux est meilleur, mais il est peu probable que ce soit suffisant.

Aux États-Unis, on s'est amusé à rechercher les périodes où, depuis 1960, les bénéfices du S&P 500 avaient connu de telles progressions (13 % une année et 12 % la suivante).

Il y en a quelques-unes.

- De 2009 à 2011, les bénéfices ont rebondi de 14,46 %, 46 % et 15 %.

- De 2002 à 2006, on a assisté à une remarquable avancée de 18,5 %, 18,7 %, 23 %, 12,1 % et 14,7 %.

- De 1993 à 1997, les hausses ont été de 28 %, 18 %, encore 18 %, 7,7 % et 8,5 %.

- En 1976 et 1977, on a assisté à des progressions de 26,4 % et 11,4 %.

- De 1963 à 1965, enfin, les bénéfices ont progressé de 12,5 %, 15,2 % et 11,3 %.

Dans la poche pour les États-Unis, la probabilité est bonne, moment d'acheter, est-on tenté de dire.

Mieux vaut ne pas aller trop vite.

Pour quatre des cinq périodes citées, les fortes progressions de bénéfices tiennent au passage d'une crise ou d'une récession l'année précédant l'envol. On sait ce qui s'est passé en 2008 (crise financière). On sait ce qui s'est passé au début des années 2000 (éclatement de la bulle techno). On sait ce qui s'est passé au début des années 1990 (une récession). On sait enfin ce qui s'est passé dans les années 1970 (le choc pétrolier).

Pour l'ensemble des fortes progressions recensées sauf une, il faut donc un signal de départ, et ce signal est une crise. Sans sa présence, la probabilité d'une progression des bénéfices de 13,2 % en 2017 et de 12 % en 2018 est extrêmement faible. Il n'y a qu'un seul précédent dans l'histoire.

Notons de surcroît que l'histoire plaide plutôt en faveur d'un arrêt prochain de la progression des bénéfices. Depuis 2008, date de la dernière crise, ceux-ci ont rebondi de 130 %. Jamais n'a-t-on assisté à un rebond aussi important ; chaque fois un nouveau recul s'est présenté avant.

Et si le marché voyait plus loin ?

Très faible probabilité que la progression des bénéfices 2017-2018 soit au rendez-vous, donc.

Les optimistes s'empresseront cependant de rétorquer qu'une croissance des bénéfices inférieure aux attentes sur l'horizon 2018 ne serait pas si grave. Leur lecture est que la croissance ne serait en fait que reportée à plus tard (2019-2020), les mesures de stimulation Trump n'ayant pris que plus de temps que prévu à venir.

C'est un argument qui se défend. Et il est fort possible, effectivement, que le marché continue d'appliquer de forts multiples au cours des prochains mois, en se disant que, si ce n'est pas en 2018, quelque part en 2019, on sera revenu au fameux multiple de 15, qu'il y aura encore de la croissance à venir, et conséquemment, un certain potentiel boursier.

Que faire alors ?

Quelque chose nous dit que le problème le plus important des mesures Trump ne réside pas dans le délai d'implantation, mais dans l'implantation elle-même.

Nombre de républicains ont le trésor public à l'oeil et ne souhaitent pas voir de grands déficits revenir. Le programme d'infrastructures et la «big, big cut» d'impôts devront forcément être compensés quelque part. Soulignons que les États-Unis affichent toujours un déficit équivalent à plus de 3 % du PIB et une dette fédérale supérieure à 100 % (plus haut niveau de l'histoire).

On attendrait encore quelques semaines avant de prendre de grandes positions. Quelque chose nous dit que les niveaux record des indices ne tiendront pas lorsque le Congrès commencera à débattre et qu'une meilleure occasion d'entrée se profilera.

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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