SNC-Lavalin veut doubler, mais le marché doute


Édition du 17 Mai 2014

SNC-Lavalin veut doubler, mais le marché doute


Édition du 17 Mai 2014

D'ici cinq ans, SNC-Lavalin souhaite doubler sa taille et bien plus que doubler son bénéfice. Difficulté, le marché semble pour l'instant ne pas le vouloir.

Le grand patron, Robert Card, ne nous a pas vraiment étonné, à l'assemblée annuelle, le 8 mai, lorsqu'il a indiqué que SNC voulait doubler sa taille d'ici cinq ans.

Dans une entrevue éditoriale accordée à Les Affaires il y a quelques mois, il avait laissé entendre la chose. M. Card avait dit que les entreprises concurrentes voyaient leur bénéfice croître de 15 % par année, et que si SNC n'y parvenait pas, elle accuserait un retard concurrentiel.

L'affirmation n'était pas aussi claire, mais le calcul mathématique l'était : 15 % par année (composé), c'est un doublé sur cinq ans.

En conférence de presse, Robert Card nous a cependant surpris lorsqu'on lui a demandé si, lorsqu'il parlait de doubler, il faisait référence aux revenus ou au bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement. «Le BAIIA devrait nettement plus que doubler», a-t-il lancé, en précisant que son niveau actuel était inacceptable.

Comme pour se donner un petit coussin de sécurité, il a plus loin précisé que ce pourrait être sur sept ans.

Très clairement, SNC-Lavalin a l'intention de s'engager sur le chemin de la croissance pour se hisser dans le peloton des 20 à 40 plus grandes sociétés d'ingénierie-construction dans le monde. Elle se situe actuellement entre la 50e et la 80e position, selon l'évaluation de la direction.

C'est assurément une bonne nouvelle pour le Québec. Bien que M. Card indique qu'il faudra davantage décentraliser les décisions pour faire de SNC une société mondiale (60 % des revenus viennent encore du Canada), une stratégie d'expansion garantit la présence d'un siège social important à Montréal. L'inertie, elle, ferait en sorte que la société risquerait de bientôt devenir une proie, et bye-bye le centre décisionnel.

Mais le marché ne semble pas vouloir

La question est cependant de savoir si le marché et les actionnaires souhaitent voir SNC-Lavalin prendre de l'expansion.

Il se trouve un courant qui aimerait davantage voir la société montréalaise se concentrer sur son redressement et tout simplement retourner ensuite plus d'argent à ses actionnaires.

La discussion a pris de l'ampleur, il y a quelques jours, avec la vente de sa participation dans AltaLink, l'important distributeur d'électricité albertain. Si la transaction est approuvée par les autorités réglementaires, SNC recevra l'équivalent de 19,50 $ par action en argent (après impôt) à la fin de l'année.

«La grande question est : que fera SNC de cet argent ? Si l'entreprise l'utilise pour une acquisition dans le secteur de l'ingénierie, nous voyons peu de création de valeur possible pour les 19,50 $ reçus en argent, et plus de risque que si cet argent était réinvesti dans une utilité publique ou tout simplement retourné en dividende», écrit l'analyste Paul Lechem, de Marchés mondiaux CIBC.

Illustration de la crainte : l'été dernier, la rumeur avait couru que SNC s'intéressait à Kentz Group, une société londonienne spécialisée dans l'ingénierie et la construction pétrolière. Le titre avait immédiatement cédé 4 %.

La difficulté est que les activités d'ingénierie de SNC se négocient à des multiples nettement plus faibles que ceux des acquisitions potentiellement visées. Il y a un peu de flottement parce que personne n'accorde la même valeur aux concessions, mais disons qu'on s'entend généralement pour dire que les activités d'ingénierie se négocient à 6,5 fois le BAIIA, tandis que les cibles d'acquisition sont souvent à 8 ou 10 fois le BAIIA. Si vous achetez quelque chose à 10 fois le BAIIA et que le marché décide ensuite de continuer d'appliquer au bénéfice acheté le multiple de 6,5 fois qu'il vous accolait, vous détruisez de la valeur. Il aurait sans doute mieux valu ne pas faire la transaction et retourner l'argent aux actionnaires.

En conférence de presse, M. Card a indiqué qu'il voulait qu'une éventuelle acquisition contribue au bénéfice de SNC. Ce qui nous a amené à lui demander comment la chose pourrait bénéficier aux actionnaires, étant donné la situation de multiples. Il a fait allusion à de potentiels montages financiers, sans être très spécifique.

Que fera le géant montréalais ?

Une des solutions préconisées par l'analyste Maxim Sytchev, de Dundee, serait que la société montréalaise commence par procéder à un important rachat d'actions. Ce qui devrait alors faire remonter la valeur de ses actions et, conséquemment, la force de ses multiples.

Il est possible que ce soit ce que le patron de SNC ait à l'esprit.

Cela dit, si une occasion se présentait, l'entreprise ne devrait pas s'interroger longtemps sur la situation. Son plan de match est à long terme. Et si SNC-Lavalin réussit «à nettement plus que doubler son bénéfice» sur cinq ans, les multiples se réajusteront eux-mêmes avec le temps. Ce qui initialement n'était pas accréditif le deviendra alors. Tout est question de confiance.

Beaucoup d'actionnaires critiqueront assurément sur le coup. Mais il faut parfois savoir dompter le marché.

Sur le radar
SNC-Lavalin (Tor., SNC, 49,83 $)
Le titre sur cinq ans

Source : Bloomberg

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À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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