SNC-Lavalin : a-t-on trop peur ?


Édition du 24 Novembre 2018

SNC-Lavalin : a-t-on trop peur ?


Édition du 24 Novembre 2018

Le ciel est bleu, la mer est calme. Et soudain, le grain. SNC-Lavalin vient encore une fois d'en faire l'expérience.

Au début de l'été, le titre de la société montait au-dessus des 60 $, un sommet en cinq ans. Le carnet de commandes était garni, et semblait devoir l'être davantage dans les trimestres à venir. Ottawa envoyait des signes de compromis dans le dossier des poursuites judiciaires criminelles, avec une nouvelle législation permettant à la Couronne de désormais régler ces procédures hors cours.

Deux coups de tonnerre plus tard, le titre est de nouveau près des 45 $, et les craintes sont de retour.

Un conflit a d'abord éclaté avec l'Arabie saoudite, un marché où est active la société. Puis, contre toute attente, le service pénal du gouvernement canadien a fait savoir qu'il n'était pas prêt, pour l'instant, à négocier un règlement sur les procédures criminelles.

La peur est immédiatement revenue dans le marché.

Est-elle fondée ?

Les poursuites criminelles

D'abord sur les poursuites criminelles.

La fin de non-recevoir de la Couronne a pris tout le monde par surprise, y compris la société, selon ce que l'on en comprend.

L'affaire est désormais en cours d'audition (sous ordonnance de non- publication). Pourquoi les services pénaux refusent-ils de régler ?

Personne ne le sait réellement. Certains avancent que c'est pour une raison technique. D'autres rappellent qu'une perquisition a eu lieu en mars, liée aux agissements d'anciens dirigeants. Ils font valoir que les enquêtes pourraient ne pas être toutes terminées et que, dans cette situation, la Couronne pourrait préférer attendre encore un peu pour mieux quantifier un règlement global.

Quel que soit le motif, la crainte est maintenant qu'ultimement, SNC se retrouve avec une condamnation criminelle.

Une telle situation aurait pour effet de l'empêcher de soumissionner sur les contrats publics au Canada pour 10 ans. Dépendamment des sources, les analystes estiment que SNC tire actuellement entre 15 % et 20 % de ses revenus des contrats publics canadiens.

Certains avancent qu'elle pourrait peut-être continuer à soumissionner à partir de ses filiales non affectées par les poursuites (comme Atkins, en Europe). Il n'y a cependant pas de certitude, la société mère étant visée par les poursuites.

Grand danger donc que cette situation ?

On n'a personnellement pas trop de craintes. Plusieurs estiment que si SNC ne peut régler avec la poursuite d'ici quelque temps, elle commencera alors à envisager sa liquidation. Histoire d'obtenir le plus de valeur possible avant que des condamnations ne tombent et ne menacent son carnet de commandes futur.

Quelque chose nous dit que personne ne voudra porter la responsabilité du sabordement d'un fleuron québécois qui, ayant revu de fond en comble sa gouvernance, donne l'impression de s'être bien amendé.

Le volet «poursuites criminelles» risque de faire couler encore beaucoup d'encre dans les prochains mois. Mais, d'un point de vue «risque ultime pour l'actionnaire», il n'apparaît pas si grand.

Le risque Arabie saoudite

La critique du gouvernement canadien dans l'affaire de l'emprisonnement de femmes et d'intellectuels semblait initialement anodine. Mais la réaction a été vive. Les relations commerciales avec le Canada sont maintenant gelées, et tout le monde se demande ce que sera la suite. Les contrats actuels semblent devoir être honorés. Mais après ?

Maxim Sytchev, de Financière Banque Nationale, estime que le pays représentait au deuxième trimestre environ 39 % des revenus de la division pétrole et gaz de SNC. C'est 10 % des revenus consolidés totaux.

En simulant un retrait des activités en Arabie saoudite, M. Sytchev estimait en août que la perte de ces revenus retrancherait l'équivalent de 5,30 $ à sa cible 2019 (probablement autour de 4 $ au cours actuel de l'action, selon notre calcul).

Le risque apparaît ici plus important que le précédent. On n'écarterait pas la possibilité que SNC perde à tout le moins un certain nombre de contrats qu'elle peut avoir là-bas avec des tiers. L'Arabie saoudite n'aura pas de considération pour SNC.

Combien devrait valoir SNC (SNC, 46,06 $) ?

Les risques mesurés, il convient maintenant de voir à combien le marché évalue actuellement SNC et à combien elle pourrait être évaluée si ces risques n'étaient pas pris en compte.

Il faut dans un premier temps considérer la valeur des concessions de l'entreprise. Cette valeur est essentiellement constituée de la participation de 16,77 % dans l'autoroute 407. SNC est actuellement en processus pour vendre 6,76 % de cette participation. La vente devrait permettre de préciser la valeur de l'ensemble de la participation. La direction estime que la valeur de la 407 est à un niveau plus élevé que le consensus des analystes. Il n'est pas très clair à combien celui-ci se situe, mais nos coups de sonde donnent autour de 27 $-28 $ (après impôt). Retenons 28 $ et ajoutons 3 $ pour les autres concessions. On a ici une valeur de 31 $.

C'est dire qu'au cours actuel (46 $), le marché accorde actuellement une valeur autour de 15,50 $-16 $ aux activités d'ingénierie construction.

C'est aussi dire qu'il paie ce faisant un multiple de 5 à 6 fois le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) prévu en 2019. À titre de comparaison, la médiane des entreprises d'ingénierie construction de l'univers de BMO Marchés des capitaux est autour de 9,5 fois.

En postulant que tous les contrats d'Arabie saoudite soient effacés des livres, les activités d'ingénierie-construction se négocieraient autour de 6,25-7,5 fois le BAIIA 2019. C'est encore un important escompte sur les comparables. Qui peut s'expliquer par le risque de nouvelles pertes de revenus liées aux poursuites criminelles au Canada. Mais, comme on l'a vu plus haut, la probabilité de matérialisation de ce risque à terme semble relativement faible.

Morale de l'histoire ?

Le titre de SNC-Lavalin est l'un des plus attrayants de l'univers de l'ingénierie-construction. Il n'est pas sans risques supplémentaires, une récession pouvant notamment toujours se pointer et faire reculer la rentabilité de l'entreprise (et de toutes les autres). Mais il est probablement celui qui offre le plus de levier si le cycle se poursuit pour encore deux ou trois ans.

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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