Papa peut-il relancer Valeant ?

Offert par Les Affaires


Édition du 07 Mai 2016

Papa peut-il relancer Valeant ?

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Édition du 07 Mai 2016

[Photo : Bloomberg]

La nouvelle a redonné un peu d'élan au titre. Joe Papa est le nouveau patron de Valeant (NY, VRX, 30,35 $ US). Peut-il relancer la société ?

Les habitués de cette chronique savent que l'on n'a jamais été fan de l'entreprise.

Son siège social montréalais n'est qu'une façade pour profiter d'ententes internationales avec les paradis fiscaux et rapatrier sans payer d'impôt la majeure partie de ses bénéfices. Elle ne prend même pas la peine de traduire ses communications financières en français, une opération jugée trop onéreuse.

Son modèle d'entreprise est aussi discutable sous d'autres aspects. Elle n'encourage pas la R-D. Sans l'éliminer, elle préfère diminuer celle des entreprises qu'elle achète. La recette préférée de son ancien président, Michael Pearson, était de hausser le plus possible le prix des médicaments des sociétés acquises. Enfin, elle utilisait des sociétés apparentées (Philidor) de manière à améliorer sa performance financière.

Bref, du temps de M. Pearson, Valeant était un montage d'élastiques étirés, attachés à une dette tout aussi étirée, qui risquait de poser problème si l'un des élastiques venait à casser. C'est ce qui arriva. Les activités plus ou moins claires de Philidor furent découvertes. Même chose pour la stratégie de hausse de prix. Les politiciens, Hillary Clinton en tête, entrèrent en scène, bien déterminés à contrôler les hausses de prix. En parallèle, des enquêtes judiciaires furent lancées.

Les investisseurs se mirent à douter de la rentabilité actuelle et future de Valeant, les multiples fondirent, la dette resta.

Résultat, le titre de Valeant, que Michael Pearson avait réussi à amener jusqu'à 295 $US, recula à 25 $US. Il est depuis remonté à 30 $US.

Et la question qui se pose est aujourd'hui : Joseph Papa peut-il maintenant l'amener plus loin ?

Une bonne réputation, mais qui ne fait pas l'unanimité

Pour plusieurs analystes, l'ancien chef de direction de Perrigo, une pharmaceutique de médicaments génériques, est un timonier de rêve.

Alexa Afaei, de BMO Marchés des capitaux, souligne que, depuis son arrivée aux commandes de Perrigo, en 2006, le titre a pris 900 %. M. Papa a généré de la croissance grâce à plusieurs acquisitions, dont Elan, en 2013 (une inversion fiscale). Il a aussi lancé sur le marché plusieurs nouveaux produits, comme Celebrex, qui se sont avérés de grands succès.

Il n'y a cependant pas unanimité. Gregg Gilbert, de la Deutsche Bank, note que certains s'interrogeront sans doute sur son habileté à piloter un revirement opérationnel et financier complexe. Il souligne que Perrigo, qui est beaucoup plus simple à gérer, a récemment eu des difficultés, et que des investisseurs commencent à s'interroger sur la décision d'acheter Elan. De même que sur celle de ne pas accepter plus tard une offre d'achat de Mylan. À près de 200 $ US le printemps dernier, le titre a depuis reculé de 50 %.

Que faire avec Valeant ?

Le nouveau pdg devrait permettre de rétablir une certaine confiance, mais tentons de voir plus clair dans le risque et le potentiel de ce qui se présente.

Gregg Gilbert y allait récemment de calculs intéressants, qui permettent d'abord de mieux cerner la marge de manoeuvre à la disposition de monsieur Papa.

Scénario 1, celui de base : les revenus de Valeant croissent de 2,9 % annuellement d'ici 2020. C'est inférieur au consensus des analystes, qui estiment qu'ils augmenteront de 5,4 % par année. Dans cette situation, la société devrait se tirer d'affaire, son taux d'endettement passant de 5 fois le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA), en 2016, à 2,1 fois le BAIIA en 2020. Aucun danger pour la valeur de l'action si elle n'est pas actuellement surévaluée (ce qu'on déterminera un peu plus bas).

Scénario 2 : les revenus progressent de 0 % d'ici 2020, et l'on rembourse la dette avec la force actuelle des flux de trésorerie de Valeant. Le ratio dette nette/BAIIA passe à 3 fois en 2020. Pas de problème ici non plus pour la valeur de l'action.

Scénario 3 : les revenus reculent de 5 % par année. Dans cette situation, «final bâton», la dette devra vraisemblablement être restructurée et l'action ne vaudra plus grand-chose.

Voilà pour le risque de l'aventure.

Voyons maintenant son potentiel.

Si vous croyez que l'hypothèse d'un recul annuel des revenus de 5 % ne se matérialisera pas, il ne vous reste maintenant qu'à voir si, à 32,50 $ US, l'action se négocie actuellement à un prix raisonnable. Dans les deux premiers scénarios, il n'y a pas de risque de défaut, mais il reste en effet toujours à évaluer le risque de la surévaluation.

L'analyste de la Deutsche Bank applique les multiples des acquisitions passées de Valeant aux revenus de 2016 de chacune de ses divisions. Il obtient une valeur de 36 $ US. C'est une valeur à première vue trop généreuse, parce qu'on donne à chacune des entités des multiples d'offre publique d'achat. Mais c'est aussi une valeur qui n'en accorde pas au pipeline de produits futurs de Valeant. L'un dans l'autre, ça peut probablement s'équilibrer.

Constat ?

À 32,50 $ US, le titre semble bien évalué. D'autant que l'OCDE songe à modifier les règles fiscales internationales, ce qui pourrait avoir un impact sur le stratagème qu'utilise Valeant.

L'action pourra prendre de la valeur à mesure que les scénarios 1 ou 2 se déploieront et que la dette sera remboursée. Dans le cas du scénario 2, où les revenus ne bougent pas, c'est un titre qui double sur cinq ans. Dans le cas du scénario 1, c'est encore mieux.

Il faut cependant que le scénario 3 ne soit pas celui qui est en route, et que, dans les deux premiers scénarios, l'OCDE n'aille pas de l'avant avec son projet.

L'investissement est spéculatif.

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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