Marijuana : faut-il suivre le buzz ?


Édition du 31 Octobre 2015

Marijuana : faut-il suivre le buzz ?


Édition du 31 Octobre 2015

« Avez-vous déjà inhalé? » À la suite de l'élection du gouvernement de Justin Trudeau, on pourrait bientôt pouvoir répondre « oui » en toute légalité. En Bourse, le projet libéral vient de doper les titres des producteurs de marijuana.

Certains sont en hausse de plus de 30 % depuis le 19 octobre. Quoique senti, le bond n'est pas nécessairement de nature à placer les actionnaires des premières heures dans un état euphorique. La plupart des titres affichent encore en effet de significatifs reculs sur les niveaux record qu'ils avaient atteints lors de leur entrée en Bourse.

Les libéraux veulent légaliser le commerce de la marijuana au pays. Ils estiment que les lois actuelles ne permettent pas de prévenir la consommation chez les jeunes, coûtent cher en administration judiciaire et font indirectement en sorte que le crime organisé est grand gagnant sur le plan financier.

Est-il temps de se positionner dans le secteur ? Voyons voir.

Ce marché peut-il vraiment être légalisé ?

L'argumentaire libéral n'est pas saugrenu, mais fait déjà face à de la résistance.

En campagne électorale, le Parti conservateur a affiché une vive opposition au projet, l'ex-premier ministre Harper répétant que la marijuana était pire que le tabac et que la légalisation encouragerait la consommation.

Au Québec, la vice-première ministre Lise Thériault soutient que le projet est susceptible d'indisposer plusieurs personnes, elle la première. Le premier ministre Philippe Couillard dit qu'il est « ouvert » à la décriminalisation, mais « pas forcément à la légalisation ».

Quelques analystes estiment que la légalisation pourrait survenir d'ici deux ans. On n'est pas aussi convaincu qu'eux, et on placerait plutôt la probabilité d'une légalisation à 50 %.

Quelles seraient les conséquences potentielles sur le marché ?

Le marché thérapeutique de la « mari » est aujourd'hui évalué à environ 80 M$. C'est tout petit. L'avènement de la vente libre aurait cependant un formidable effet multiplicateur.

Aaron Salz, de Dundee Marché des capitaux, utilise trois approches d'évaluation.

1- L'approche Statistique Canada. Le recensement de 2011 montre que 2 % des Canadiens consomment quotidiennement de la marijuana. Cela équivaut à 700 000 individus. En présumant une consommation de 0,5 gramme par jour, à un prix de 7,50 $ le gramme, on parle d'un marché de 1 G$.

Un autre 3 % de Canadiens dit consommer une fois par semaine. L'analyste estime que ce groupe est probablement davantage de type week end warrior, qui visite le pusher une fois par mois et qui dépense 100 $ par visite. C'est 1 G$ de plus.

Total : 2 G$.

2- L'approche Colorado. L'état américain a légalisé la marijuana à des fins thérapeutiques en 2000, et l'a totalement légalisée le 1er janvier 2014. En d'août, les ventes récréatives de « pot » étaient estimées à 50,17 M$ US. Comme la population du Canada est d'environ 6,5 fois celle du Colorado (35,2 millions par rapport à 5,4 millions d'habitants), le marché canadien pourrait être estimé à 5 G$ par année.

3- D'autres points de vue aux États-Unis. M. Salz s'attarde finalement à ce que certaines études concluent pour l'ensemble du marché des États-Unis. L'une, d'ArcView, donne un marché de 11 G$ US ; une autre, de GreenWave Advisors, évalue le marché actuel à 21 G$ US. Ramené à l'échelle canadienne, c'est donc un marché qui varie de 1,5 à 3 G$ CAN.

Constat ? Le marché de la marijuana pourrait bien passer de 80 M$ à un montant oscillant de 2 à 5 G$.

Qui sont les acteurs du secteur ?

> Canopy (CGC, 2,42 $). Le plus important acteur. Il s'agit de l'ancienne Tweed Marijuana. La société compte environ 20 % de tous les patients canadiens enregistrés à des fins thérapeutiques. Elle possède quatre établissements de production autorisés et une superserre de culture. Les établissements de production ne fonctionnent actuellement qu'à entre 10 % et 50 % de leur capacité, ce qui laisse entrevoir amplement de potentiel.

> Mettrum (MT, 1,98 $). Le numéro deux du secteur, avec deux centres de production autorisés et un troisième en voie de l'être. La société est celle qui affiche la croissance de patients la plus rapide et qui détient la plus importante encaisse (17 M$).

> Aphria (APH, 1,20 $). Un plus petit acteur, mais des coûts de production et d'expansion potentiellement plus faibles que les autres.

> OrganiGram (OGI, 0,53 $). Le plus petit joueur. Il a la particularité d'être établi dans les maritimes plutôt qu'en Ontario et de produire de la marijuana bio.

Faut-il investir ?

La grande question du début. Aucune des sociétés ne fait encore d'argent, même avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA). Il est peu probable qu'elles en fassent en 2016. La rentabilité devrait se manifester en 2017, grâce au développement du marché thérapeutique.

Se pose cependant la question des multiples à appliquer à ces bénéfices de 2017.

Pour Canopy, M. Salz applique par exemple un multiple de 12 à sa prévision BAIIA et obtient une cible à 2,60 $. Étant donné les actuels surplus de capacité de l'industrie, c'est un multiple trop élevé pour un marché qui serait uniquement thérapeutique (80 M$). C'est trop faible cependant si le marché devait être légalisé et voyait son potentiel augmenter à entre 2 et 5 G$.

Évidemment, une concurrence apparaîtrait (il y a déjà une vingtaine de plus petits acteurs privés), mais les quatre principaux acteurs auraient quand même l'avantage de l'expérience et celui de la connaissance de la réglementation.

Conclusion ?

Si l'on croit que Justin Trudeau ira de l'avant avec le projet de légalisation, le secteur est à jouer. S'il n'y va pas, la probabilité semble bonne qu'une partie de notre argent s'envole... en fumée.

Suivez François Pouliot sur Twitter @f_pouliot

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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