La question qui n'a pas été discutée


Édition du 10 Octobre 2015

La question qui n'a pas été discutée


Édition du 10 Octobre 2015

L'approche est défendable. Le fédéral n'est pas aujourd'hui dans la même situation que bien des provinces. Son niveau d'endettement est relativement faible. Il existe pendant ce temps une école de pensée économique qui soutient qu'un gouvernement qui communique qu'il est clairement prêt à investir, quitte à encaisser des déficits pendant quelques années, verra son économie rebondir. La théorie veut que les entreprises l'accompagneront. Elles sauront qu'il n'arrêtera pas de dépenser demain matin et se mettront elles-mêmes en mode investissement, parce qu'il y a plus de certitude à l'horizon quant à leur capacité à récupérer leur investissement.

Il faut cependant que ces déficits soient temporaires, par opposition à structurels. Des déficits structurels qui s'accumulent, même s'ils sont d'une ampleur mesurée, finissent avec le temps par déboucher sur d'importants problèmes. Les finances du Québec en témoignent.

Celui des libéraux est-il temporaire ?

Jetons-y un oeil.

Une partie des nouveaux engagements est financée par une hausse de l'impôt des 1 % les plus riches et l'annulation du fractionnement du revenu conservateur (sauf pour les personnes âgées). L'essentiel du financement des promesses s'appuie cependant sur un chiffre auquel bien peu de gens avaient porté attention lors du dernier budget : un surplus prévu de 7,8 G$ en 2019-2020. C'est ce surplus anticipé qui est utilisé pour renflouer une bonne partie du déficit de 10 G$ de l'an 1 et 2. Le reste du renflouement nécessaire repose sur une opération de révision des dépenses fiscales, où le PLC est confiant d'aller chercher 3 G$.

Deux choses doivent donc être examinées pour apprécier la nature temporaire ou non des déficits.

Du côté de la révision des dépenses fiscales, on sait déjà qu'il est probable que les options des membres de la haute direction seront imposées à 100 % plutôt qu'à 50 %, qu'on aura moins recours à la consultation externe et qu'on s'attaquera davantage à l'évitement fiscal. Suffisant pour aller chercher 3 G$ ?

Deuxième point d'interrogation : pour que le 7,8 G$ de surplus prévu au dernier budget se présente en 2019-2020, il faut que la croissance économique soit là sur toute la période (1 % en 2015-2016 ; 2,7 % en 2016-2017 ; 2,4 % en 2017-2018 ; 2,2 % en 2018-2019 ; et 2,2 % en 2019-2020). Un recul économique à un moment, et plus rien ne tient. Le déficit devient presque assurément structurel. Si la croissance n'est pas celle prévue, il faudra alors rehausser les impôts ou encore diminuer des avantages.

On est personnellement de l'école qui préfère gagner ses surplus (ou à tout le moins les voir bien en vue) avant de les dépenser ou de les retourner à ses commettants. C'est à cette école que logent aussi les conservateurs et les néo-démocrates (c'est moins clair du côté du Bloc, qui livrerait des déficits appréciables s'il adoptait la même méthode comptable que le PLC pour les infrastructures).

Un doute, donc. Mais il est possible que la proposition fonctionne et que, si elle échoue, les dommages ne soient pas si terribles.

À chacun de jongler avec cette question, qui est l'une des plus importantes de la campagne, et sur laquelle il n'y a malheureusement eu que peu de discussions.

À lire aussi :
Dans la plateforme du Parti conservateur
Dans la plateforme du NPD
Dans la plateforme du Parti libéral du Canada
Dans la plateforme du Bloc québecois

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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