La perte de confiance en Couche-Tard


Édition du 21 Avril 2018

La perte de confiance en Couche-Tard


Édition du 21 Avril 2018

Le titre de ­Couche-Tard est en recul de 10 % sur la mi-mars (date des résultats). Depuis le début 2016, il ne parvient pas à avancer de façon soutenue. [Photo: Patrick Le Barbenchon / CC]

À quoi peut s'attendre une direction qui fait faire 10 fois leur mise à ses actionnaires sur cinq ans (et près de 70 fois sur 18 ans) lorsque son action se met à faire du surplace pendant 18 mois ?

« Il faudrait que M. Bouchard quitte pour la retraite », dira l'un ; « Couche-Tard, c'est fini », dira l'autre. Et ainsi de suite.

Les derniers résultats de la chaîne de dépanneurs ont été reçus avec émotion s'il faut en croire notre boîte courriel. L'indulgence est une denrée rare sur les marchés financiers. Même envers les meilleurs.

Le titre de Couche-Tard est en recul de 10 % sur la mi-mars (date des résultats). Depuis le début 2016, il ne parvient pas à avancer de façon soutenue.

Que se passe-t-il ?

Les résultats du dernier trimestre, que l'on pourrait qualifier de coup de Jarnac, sont arrivés en complète désynchronisation avec les attentes du marché. Un bénéfice de 0,54 $ US par action, alors que le consensus était autour de 0,75 $ US.

Beaucoup a été écrit sur l'effondrement de la marge bénéficiaire dans le secteur de l'essence, grand responsable de l'écart avec les attentes.

S'il faut en croire la direction, un phénomène inattendu s'est produit en Arizona, qui a fait rapidement augmenter le prix du pétrole en janvier et a frappé la rentabilité. Le marché se serait depuis rétabli.

L'agacement dans ces résultats se situe davantage dans les activités magasin.

Les ventes de marchandise à l'intérieur des établissements comparables sont en hausse de 0,1 % aux États-Unis, de 0,5 % au Canada et de 3,6 % en Europe. S'il n'y a rien à redire du côté de l'Europe, il est évident que quelque chose cloche au Canada et chez l'Oncle Sam. La seule inflation devrait en effet amener une croissance supérieure à celle affichée.

La météo a été défavorable dans certaines régions, notamment en raison des ouragans. Mais il y a plus, puisque, comme le remarque la firme Macquarie, la croissance des ventes comparables ralentit depuis maintenant une dizaine de trimestres.

Le consommateur semble moins fréquenter les établissements, et la cause n'est pas claire. Certains avancent que les magasins à 1 $ (qui augmentent leur offre alimentaire), de même que les chaînes de restauration rapide, pourraient bien gagner des parts de marché.

Mystère et boule de gomme.

La croissance des ventes peut-elle repartir ?

La grande question. C'est la première fois depuis très longtemps que Couche-Tard fait face à un problème de croissance. Historiquement, les acquisitions lui ont toujours procuré beaucoup d'élan. Elle savait payer le bon prix et intégrait chez la chaîne acquise sa recette à succès.

Cette recette fonctionne encore. Mais, dans les dernières années, on en est personnellement venu à se demander si Couche-Tard avait encore la meilleure sur le marché, du moins pour attirer de la clientèle. Une petite chaîne comme Maplefields, qui doit compter une vingtaine d'établissements dans l'État de New York et au Vermont, offre aujourd'hui beaucoup de restauration et des aires confortables. Difficile de dire si ses opérations sont aussi rentables que celles de Couche-Tard, mais l'envie d'y retourner est forte. Stewart's, une chaîne de plus de 335 dépanneurs dans la même région, est un autre exemple de formule intéressante.

Couche-Tard peut-elle ajouter des ingrédients gagnants à sa recette ?

La direction y semble déterminée.

Elle promet pour le printemps et l'été une série d'initiatives destinées à augmenter l'achalandage dans ses commerces. Pour des motifs concurrentiels, la plupart sont pour l'instant secrètes. On sait cependant qu'elle a récemment créé un club du tabac dans 4 500 établissements aux États-Unis et que le programme aide à l'achalandage. Au Canada, Esso vient d'adhérer au programme de loyauté Loblaw/PC Optimum, ce qui devrait augmenter la circulation dans les stations-service Couche-Tard sous cette bannière.

Mieux encore, quoique à plus long terme, l'entreprise a décidé de créer une équipe pour amener chez elle des façons de faire de la chaîne Holiday, qu'elle a récemment achetée. Holiday semble assez avancée dans la restauration. Une recette améliorée dans le vaste réseau de Couche-Tard pourrait être génératrice de retombées intéressantes.

La croissance des ventes peut-elle repartir ?, demandions-nous. Ça semble probable.

Faut-il acheter Couche-Tard ?

L'approche de l'analyste Mark Petrie, de Marchés mondiaux CIBC, est particulièrement intéressante. De manière à lisser dans le temps l'influence des fluctuations du prix du pétrole, M. Petrie modélise un bénéfice attendu pour l'année à venir en fonction des données fondamentales actuelles. Puis, il le normalise en appliquant aux activités pétrolières la marge moyenne historique de Couche-Tard plutôt que sa marge courante. Ce qui fait que son anticipation de bénéfice par action de 2,97 $ US pour l'exercice 2019 (avril) tombe en réalité à 2,92 $ US.

La projection de M. Petrie est d'autant intéressante (celle à 2,97 $ US), qu'elle est la deuxième plus faible de notre univers d'une dizaine d'analystes.

Sur la projection normalisée (2,92 $ US), Couche-Tard se négocie actuellement à 14,6 fois le bénéfice.

C'est plus faible que la moyenne historique du marché dans son ensemble (15), et il ne fait pas de doute dans notre esprit que l'entreprise en a encore pour quelques années à afficher une croissance des bénéfices supérieure à celle du marché.

Conclusion

Le risque de recul du titre apparaît faible, et la probabilité de rendements futurs raisonnables, bonne.

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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