Jean Coutu: le brouillard Barrette

Publié le 05/07/2016 à 19:04

Jean Coutu: le brouillard Barrette

Publié le 05/07/2016 à 19:04

Deux personnages pivots étaient absents, mais fort présents dans l'esprit des actionnaires, mardi, à l'assemblée annuelle de Jean Coutu. L'un que l'on aurait souhaité y voir, et l'autre qui n'y était pas le bienvenu. L'absent regretté: Jean Coutu; l'absent honni: Gaétan Barrette.

Aux actionnaires qui s'interrogeaient sur l'absence de monsieur Coutu, le chef de direction, François Jean Coutu, a expliqué qu'il avait récemment été opéré à l'oreille et est en convalescence. Apparemment la récupération est bonne et tout se passe bien.

Monsieur Barrette de son côté a fait parler de lui à la période de question des actionnaires. L'un d'eux s'est présenté au micro en annonçant que malheureusement le ministre de la santé était son député, et qu'il allait lui parler lorsqu'il le rencontrerait. L'anecdote a bien fait rigolé l'assistance.

Pendant ce temps, sur les marchés, les investisseurs rigolaient cependant un peu moins. À un certain moment le titre reculait de plus de 5% (fermeture à – 4,88%).

Les cours semblent avoir mal réagi au fait que le bénéfice (avant impôts et amortissement) de la société a reculé significativement au cours du premier trimestre (les résultats étaient aussi annoncés mardi). Il avait été de 83 M$ en 2015, il a plutôt été de 77 M$ en 2016.

C'est un résultat décevant. Qui, en soi, n'est pas nécessairement inquiétant. Du 6 M$ d'écart, 2 M$ proviennent du programme de rémunération et sont en fait attribuables au bon comportement de l'action de Jean Coutu. Il y a pendant ce temps pour près de 4 M$ de coûts attachés au déménagement graduel du siège social et du centre de distribution à Varennes. Ces coûts devraient disparaître dans les prochains mois.

La vraie menace est dans ce qui s'en vient

Le vrai péril est plutôt dans ce qui s'en vient. La main du ministre de la santé du Québec menace la rentabilité de la société.

Sous deux aspects. Qui touchent la filiale Pro Doc, la société de médicaments génériques de Jean Coutu.

Même s'ils n'y sont pas forcés, les franchisés Jean Coutu offrent généralement les médicaments Pro Doc à leurs clients. Ces médicaments sont fournis par Pro Doc, qui ne les produit pas et s'approvisionne pour l'essentiel auprès de manufacturiers génériques. Jean Coutu se trouve en fait à garantir un volume au manufacturier et se prend un profit.

Voilà cependant que Pro Doc, qui a généré 21 M$ des 77 M$ de bénéfices du premier trimestre, semble se diriger vers un feu croisé.

1-Le plafond sur les ristournes est en train de sauter

Il y a beaucoup de confusion dans ce dossier. Simplement résumé, Québec a décidé de réduire les frais professionnels des pharmaciens. Pour calmer le tohu-bohu et les compenser, le gouvernement a choisi de hausser le plafond des ristournes que leur versent les fabricants de produits génériques. Depuis avril, la commission versée par les fabricants aux pharmaciens est passée de 15% à 25% du prix d'achat. Elle grimpera à 30% à l'automne. Et, au début de l'année 2017, il n'y aura plus de limite. Certains analystes s'attendent à ce que la ristourne grimpe à 45%.

Pro Doc devra payer cette ristourne. La ponction sur la rentabilité de la division risque d'être importante.

2-Des appels d'offres pour un approvisionnement unique

A l'ajournement de l'Assemblée nationale, le gouvernement a finalement fait adopter son projet de loi autorisant des appels d'offres pour la fourniture exclusive de médicaments génériques.

Pour Pro Doc, c'est une deuxième menace, qui n'est pas petite. Parce qu'elle s'approvisionne généralement auprès de tiers, la filiale n'aura pas vraiment la possibilité de participer à ces appels d'offres. Chaque appel d'offre lancé veut donc dire une perte assurée de revenus. Le gouvernement risque d'être tenté de cibler les plus importants médicaments, ce qui veut dire de grosses pertes potentielles de revenus.

Quel sera l'impact des réformes Barrette sur Jean Coutu?

Ce n'est pas simple à évaluer. Chacun a son scénario, et, à dire vrai, personne ne sait réellement.

Il n'est pas sûr que le gouvernement du Québec ira très rapidement de l'avant avec son projet d'appels d'offres. Il y a toutes sortes d'enjeux, dont le risque d'une rupture de stocks en cas de pépins chez le fournisseur unique.

Quelque chose nous dit que la province n'ira pas vite de ce côté, et décidera plutôt d'agir avec les autres provinces canadiennes. Il existe en effet un comité des provinces qui planche actuellement sur cette question et qui souhaite apparemment négocier avec les fabricants de produits génériques. Or, il y a comme une difficulté à mener deux processus en parallèle. Il est peu probable que les manufacturiers génériques soient prêts à consentir de fortes réductions aux provinces s'ils se font ensuite appeler à un jeu de mise en concurrence au Québec. Les prix consentis au Québec s'étendraient en effet ensuite dans le reste du Canada par le jeu de clauses remorques. Le programme du Québec risque donc de faire avorter l'effort canadien. Comme Québec doit agir avec prudence et ne pas aller trop vite avec l'option "appel d'offres", il risque de retarder des économies de coûts substantielles qui pourraient être obtenues par la voie de la négociation directe.

Si le raisonnement est juste, le plus grand enjeu se trouve probablement du côté de la hausse des ristournes. De ce côté, Pro Doc risque d'être frappée significativement (hausse des rabais de 15% à 45% du prix d'achat en 2017?).

Évidemment, la filiale pourra tenter d'obtenir des rabais de ses fournisseurs de médicaments génériques. Jean Coutu pourrait aussi peut-être négocier des hausses de redevances avec ses franchisés. Ce n'est toutefois pas dans la poche.

Le consensus des analystes est pour un bénéfice stable pour l'année en cours et en légère croissance pour les suivantes.

On ne parierait pas là-dessus. Le brouillard Barrette est dense.

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À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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