Infrastructures : qui se baigne tout nu ?


Édition du 09 Avril 2016

Infrastructures : qui se baigne tout nu ?


Édition du 09 Avril 2016

«C'est seulement lorsque la marée se retire que l'on découvre qui se baignait nu.» Le mot est de Warren Buffett et décrit bien cette menace qui pèse sur toute société ou investisseur : l'excès de confiance.

Lorsqu'un secteur est en vogue, que de plus en plus de consommateurs désirent certains produits, que les prix augmentent, il peut être tentant de prendre les choses à la légère.

Lorsque la musique s'arrête et que la frénésie s'estompe, les jours peuvent soudainement devenir beaucoup plus difficiles pour ceux qui ont mal géré le risque. Dirigeants comme actionnaires. Nortel est un exemple. À peu près toutes les sociétés de la fin des années 1990 dont l'appellation se terminait par «.com» en sont un autre.

Au cours des dernières années, outre le secteur de l'immobilier, celui des infrastructures a connu un cycle plus qu'intéressant. Des ressources naturelles jadis inexploitables sont soudainement devenues commercialement exploitables, grâce tantôt à l'augmentation du prix du pétrole, tantôt, aux avancées scientifiques dans le schiste. Nombre de sociétés de pipelines ou de producteurs d'énergie (au moment où le prix de l'électricité augmentait) ont profité de ce contexte pour prendre de l'expansion.

L'effondrement du prix des ressources (y compris celui de l'électricité) impose cependant depuis quelques mois un certain stress sur le secteur. Particulièrement du côté des pipelines, où la santé chancelante de certains producteurs de pétrole et de gaz jette des doutes sur les volumes futurs. Les taux d'endettement sont parfois élevés. Si la pérennité des entreprises du secteur des infrastructures n'est généralement pas en jeu, celle de leur valeur et de leur dividende peut cependant l'être.

Au début de décembre, Kinder Morgan, la plus importante société de pipelines en Amérique du Nord (avec 84 000 milles de tuyaux et 180 terminaux), évitait de justesse une décote de Moody's qui aurait fait passer sa dette au statut d'obligation de pacotille (junk bonds). Résultat : elle a charcuté son dividende de 75 %.

En janvier, c'était au tour de Williams Cos. de faire face à une série de décotes, la majorité des agences de notation lui retirant la cote «qualité investissement» (investment grade). Puis, à la fin de mars, c'était Midcontinent Express Pipeline qui voyait sa cote baisser d'un nouveau cran, dans la zone des débentures jugées spéculatives.

Qui est à risque ?

L'analyste Paul Lechem, de Marchés mondiaux CIBC, s'est récemment penché sur la question.

Après avoir passé en revue les 13 sociétés du secteur qu'il couvre, M. Lechem en vient à la conclusion que les exploitants d'infrastructures canadiens ne semblent pas trop exposés aux risques de prix et de contreparties (faillite du producteur pétrolier). Les activités des pipelines sont souvent réglementées. Mais lorsqu'elles ne le sont pas, les contrats d'approvisionnement interviennent généralement avec des producteurs dont les débentures sont cotées «qualité investissement».

Le risque le plus élevé auquel font face les acteurs de l'industrie en est plutôt un, dit-il, de croissance à venir. Ce qui a plus à voir avec le potentiel d'appréciation des bénéfices que le potentiel de recul.

Qui est à risque, nous demandions-nous ?

Le risque de Capital Power Corporation (CPX, 18,03 $) et de TransAlta (TA, 6,00 $) est jugé «modéré» par l'analyste. Il ne définit pas ce qu'il faut entendre par «modéré», mais, pour l'investisseur, il vaut probablement mieux éviter le titre. Nous ne sommes pas à marée basse, mais déjà on peut constater que le maillot de ces sociétés est plus petit qu'ailleurs.

Des titres plus intéressants ?

Le reste des acteurs du secteur reçoit une cote de risque qui va de «faible» à «très faible».

La difficulté avec les sociétés qui présentent un risque «très faible» est que le rendement de leur dividende est généralement plus faible que celui des autres. C'est le cas du dividende de Fortis (FTS, 40,27 $), qui est de 3,7 %, et de celui d'Hydro One (H, 23,69 $), à 3,6 %.

Histoire de tenter de cibler les meilleures occasions risque/rendement, on a passé chacune des sociétés à faible risque au crible en s'attardant à deux critères : 1. le meilleur rendement de dividende ; 2. le consensus de recommandations favorables.

Trois titres se démarquent :

> TransAlta Renewables (RNW, 12,45 $). Le risque global est jugé faible. Cinq analystes sont à «surperformance» et un est à «conserver». Le dividende offre un rendement de 7,1 %. La cible est à 13 $.

> Enbridge (ENB, 49,10 $). Le risque global est jugé faible. Un analyste est à «achat», 10 sont à «surperformance», et 3, à «conserver». Le dividende offre un rendement de 4,2 %. La cible moyenne est à 54,65 $.

> Algonquin Power & Utilities (AQN, 10,78 $). Le risque global est également jugé faible. Un analyste est à «achat», tandis que 7 sont à «surperformance». Le rendement du dividende est de 4,8 %, et la cible moyenne est à 13 $.

Évidemment, il est tentant de transporter une partie de son pécule dans des sociétés qui offrent des rendements de dividende plus élevés que les taux d'intérêt de bien des obligations.

L'analyse de la CIBC ne tient cependant pas compte de l'impact potentiel d'une hausse des taux d'intérêt sur la valeur du titre. Il se pourrait que, si une hausse survenait, la valeur de l'action des sociétés reculerait. D'abord, parce que l'intérêt versé par les obligations pourrait s'accroître, tandis que celui versé pour les actions des sociétés de services publics diminuerait. Ensuite, parce que les coûts d'emprunt deviendraient également plus élevés. L'investisseur ne devrait pas sous-estimer ce risque.

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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