CN ou CP? Le moment est venu de changer de train

Offert par Les Affaires


Édition du 25 Novembre 2017

CN ou CP? Le moment est venu de changer de train

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Édition du 25 Novembre 2017

[Crédit photo : 123RF]

Qui a choisi le Canadien National plutôt que le Canadien Pacifique, il y a 10 ans, s'en frotte les mains. Le titre du premier a fait faire plus de huit fois sa mise. L'autre, 3,5 fois. Depuis cinq ans, la question est plus embêtante. Sur cette période, les titres des deux transporteurs ferroviaires canadiens ont à peu près fait la même chose. Un doublé.

Le moment serait-il venu de changer de train?

NDLR: Le 29 novembre, la direction du Canadien National a averti que les résultats du quatrième trimestre allaient être inférieurs aux attentes.

La question nous est venue à l'esprit il y a quelques jours, après être tombés sur une amorce de suivi de la Deutsche Bank. L'analyste Seldon Clarke recommande d'acheter l'action du CP et de vendre celle du CN. On le sait, les recommandations de vente ne sont pas courantes chez les analystes.

Qu'en penser?

Voyons voir.

Pourquoi le CP pourrait être une bonne idée

La création de valeur au CP, ces dernières années, peut essentiellement se résumer à un nom: Hunter Harrison.

En 2012, dans un développement plus qu'inattendu, l'ex-grand patron du CN a pris les commandes d'un transporteur moribond, pendant que l'activiste Bill Ackman, de Pershing Square, nettoyait le conseil d'administration de manière à lui donner les pleins pouvoirs.

M. Harrison s'est mis à la tâche et n'a pas cherché à réinventer la roue. Il a appliqué la même recette que celle qu'il avait utilisée au CN : faire baisser les coûts.

Baptisée Precision Railroading, l'opération a pour le moins porté fruit. À l'entrée en fonction de M. Harrison, le ratio d'exploitation du CP, (les dépenses sur les revenus) était à 77 %. Il est aujourd'hui à 58 %.

Évidemment, le cycle économique a aidé, mais l'amélioration du ratio dépend en grande partie du travail effectué sur les dépenses. Hunter Harrison a réussi ce que beaucoup jugeaient impossible. Pour donner un peu de perspective, entre 2012 et 2015, le CP a réduit sa flotte de locomotives de 40 %, tout en maintenant les mêmes volumes de transport. Vu autrement, il a pu améliorer la productivité de ses locomotives de 40 % en trois ans en retirant les plus vieilles de son parc et en roulant des trains plus lourds et plus longs.

En parallèle, on a aussi beaucoup travaillé sur le fonctionnement des gares de triage (où les wagons sont reclassés sur différents trains en fonction des destinations), ce qui a permis d'améliorer de 19 % le temps passé par les trains dans les terminaux et d'améliorer la vitesse du réseau de près de 40 %.

Fort bien. Et maintenant?

L'argument de M. Clarke est qu'après avoir focalisé sur l'abaissement de ses coûts, le CP s'apprête maintenant à s'attaquer aux revenus.

Une des pièces majeures de la thèse réside dans la récente nomination de John Brooks comme vice-président et chef du marketing. Dans les deux à trois années précédant cette nomination, Keith Creel était responsable des ventes et du marketing au CP. Au même moment, cependant, M. Creel était aussi chef de l'exploitation et dauphin de Hunter Harrison. Étant donné la charge qui était sienne dans le redressement de l'exploitation de l'entreprise, il est facile de comprendre que le développement des revenus ne bénéficiait pas des efforts principaux.

D'autres indicateurs pointent aussi vers cette volonté de maintenant focaliser sur l'augmentation des revenus.

À la fin de 2016, l'entreprise a introduit une application appelée «Trip plan», qui permet à ses clients de suivre leurs expéditions wagon par wagon et, conséquemment, de diminuer les malentendus, de repérer plus rapidement les inefficacités et d'améliorer les temps de livraison.

Il y a quelques semaines, elle a aussi annoncé qu'elle augmentait sa force de vente en Asie. Des postes sont notamment ajoutés en Chine et à Singapour pour permettre d'augmenter les volumes de vente auprès des clients actuels et d'aller en chercher de nouveaux.

S'ajoutent enfin d'importantes améliorations de transbordement à la gare intermodale du Port de Vancouver et l'introduction de trains réservés au transport du grain.

Pendant ce temps au CN

Pendant ce temps, au CN, les opérations d'optimisation de coûts se poursuivent, mais l'ampleur de la récupération ne sera pas celle du passé. La direction s'attend à ce que pour les cinq prochaines années, son ratio d'exploitation demeure au milieu des 50 %, alors qu'elle doit investir davantage dans son réseau et chercher à gagner de la clientèle.

Depuis un certain nombre d'années déjà, elle est en avance sur le CP dans le service offert à la clientèle et dans les initiatives favorisant celle-ci.

Là est la difficulté.

Le CP a aujourd'hui une base de coûts comparables et s'apprête à présenter une offre améliorée à la clientèle. Contrairement au passé, le CN n'est plus en position de concurrencer sur les prix, et l'avantage des services offerts est sur le point de fondre.

La Deutsche Bank estime que le CN a été en mesure de voler une partie de la clientèle géographique du CP ces dernières années grâce à son avantage sur les coûts et sur les services. Ces deux avantages étant chose du passé, le CP devrait normalement se mettre, avec le temps, à récupérer une partie des parts de marché perdues dans le passé. Particulièrement dans le marché qui est dans sa géographie traditionnelle.

Un autre aiguillage aux évaluations

Un renversement des fondamentaux semble donc se dessiner. Et il n'apparaît pas que les évaluations l'aient pris en compte.

Le titre du CN (CNI, --- $ US) se négocie à 19 fois le bénéfice anticipé pour les prochains 12 mois. C'est 10 % de plus que sa moyenne 5 ans et près de 30 % au-dessus de sa moyenne 15 ans. Le multiple est conforme aux multiples américains, mais les transporteurs américains ont l'avantage de bénéficier du projet de réforme fiscale américaine. Le CN ne tirera pas les mêmes avantages. Seldon Clarke estime que le marché parie que la société a un avantage irréversible sur le CP, ce qui ne sera pas le cas. Il voit le titre fondre à 73 $ US (93 $ CA).

Le titre du CP (CP, --- $) se négocie de son côté à 17,5 fois les bénéfices attendus. C'est pas mal sur sa moyenne 5 ans, et c'est 7 % sous les pairs américains. Compte tenu d'une trajectoire de bénéfices naturels qui devrait s'améliorer plus que les autres, M. Clarke a une cible à 209 $ US (266 $ CA).

Constat

Le CP ne nous apparaît pas se négocier à une si bonne valeur, dans le contexte où le cycle économique commence à être étiré. Un ralentissement économique ou une récession, même légère, ferait sans doute reculer son cours. Toutefois, pour celui qui croit que le cycle durera encore un bon moment, ou qui est tout simplement prêt à voir de l'autre côté du ralentissement (la future reprise), il est effectivement probablement temps de changer de train.

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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