Ce que coûterait le sauvetage de Couche-Tard

Publié le 21/04/2016 à 16:05

Ce que coûterait le sauvetage de Couche-Tard

Publié le 21/04/2016 à 16:05

Le gouvernement du Québec offre son aide à Couche-Tard pour éventuellement faire en sorte que la société demeure sous contrôle québécois. Il y a probablement moyen d'empêcher une éventuelle vente de Couche-Tard, mais il vaudrait mieux négocier avec Bay Street.

Les ministres Leitao et Anglade ont offert leur collaboration à l'entreprise, au lendemain d'une entrevue accordée à La Presse par le PDG de Couche-Tard, Alain Bouchard. M. Bouchard déplore que Toronto ait l'an dernier fait barrage à la reconduction de ses actions multivotantes et de celles de ses associés. Les multivotantes deviendront à vote unique dans cinq ans, et le PDG estime que l'entreprise sera alors à risque de passer sous contrôle étranger dans le cadre d'une offre publique d'achat hostile. Cela met évidemment à risque son siège social.

Outre la prière, quels sont les moyens à la disposition de Québec pour tenter de préserver le siège social?

À vue d'œil, ils sont bien limités.

Un premier moyen est celui d'une loi spéciale, qui viendrait bloquer la transaction. C'est vraiment très peu probable.

D'abord parce que Couche-Tard n'est pas incorporée en vertu de la loi québécoise, mais en vertu de la loi fédérale (selon ce que l'on infère du rapport Séguin). Il est douteux que Québec serait à l'intérieur de sa juridiction.

Ensuite, parce que le message qui serait envoyé ailleurs en Amérique serait aussi hautement négatif. Couche-Tard est peut-être un symbole, mais ce n'est pas Bombardier (et ses emplois hautement rémunérés). Elle demeure une chaîne de dépanneurs et, aux yeux des autres territoires, où des sociétés québécoises font aussi des acquisitions, ce serait mal perçu.

Attention, on ne dit pas qu'il ne faut pas tenter de protéger les sièges sociaux ici pour que nos entreprises ne se heurtent pas à des objections ailleurs. C'est un raisonnement que l'on entend parfois et qui omet de tenir compte qu'à 7 millions de population contre plus de 300 millions tout autour, nos joyaux auront disparu bien avant ceux des américains. Plus long là-dessus un autre jour.

Là où se trouve une lueur

Une certaine lueur d'espoir est apparue à nos yeux en soirée, mercredi, lorsque, par temps perdu, on s'est amusé à calculer quelle serait la position de contrôle du groupe de monsieur Bouchard si les actions multivotantes devenaient aujourd'hui à simple vote. On a ensuite additionné les positions de Metro (autour de 5%) et de la Caisse de dépôt (deuxième plus importante position de son portefeuille boursier, qui représente aussi autour de 5-6% de Couche-Tard).

Résultat des courses: autour de 33% des voix. Dit autrement, une position de blocage.

Si les propriétaires, la Caisse et Metro votaient contre une éventuelle OPA, le groupe aurait suffisamment de voix pour la faire avorter.

Les règles sont à l'effet que lorsqu'un acheteur reçoit 66% d'appuis à son offre d'achat, il peut ensuite forcer la vente des actions manquantes. Le processus est relativement simple à 90%, plus complexe à 66%, mais il a aussi cette possibilité.

Sous le seuil des 66%, un acquéreur ne peut forcer la vente. Et il retirera normalement ensuite son offre. Simplement parce qu'un acheteur qui lance une OPA a normalement besoin d'avoir accès à l'argent et à tous les flux de trésorerie de la société acquise pour aider au financement de son offre, ce qu'il ne peut pas faire s'il ne détient pas 100% des actions. Il doit, dans ce cas, laisser une bonne partie de l'argent dans l'entité qu'il vient d'acheter pour respecter l'actionnaire minoritaire et ne pas affaiblir sa position financière.

Évidemment, la position de Metro dans Couche-Tard est à long terme incertaine. Il vaudrait mieux ne pas trop compter sur son 5% de vote. Metro peut en effet avoir besoin de vendre un jour sa participation pour financer de nouveaux projets.

Si la conversion des actions survenait aujourd'hui, il manquerait donc autour d'un 5% de voix pour garantir une position de blocage. Ce qui veut dire, en gros, une nouvelle injection de 1,5-2 G$ de la part d'actionnaires actuels ou de nouveaux actionnaires de Québec inc. Le Fonds de solidarité n'a pas de réelle position dans Couche-Tard, il pourrait peut-être amener un peu d'argent, Investissement Québec un peu aussi. Quelques autres sociétés québécoises, comme Desjardins et la Nationale pourraient peut-être concourir.

Là où faiblit malheureusement la lueur

Sauvé, le siège social de Couche-Tard?

Pas nécessairement. La difficulté est notamment dans son modèle d'affaires, qui n'est pas exclusivement, mais demeure principalement basé sur les acquisitions.

Qui dit acquisitions, dit parfois besoin d'émettre des actions supplémentaires. Particulièrement si une acquisition échoue et que l'endettement que l'on y avait attaché a besoin d'être diminué. Couche-Tard n'a pas eu trop de difficulté de ce côté dans le passé, mais le risque n'est jamais absent.

Il n'y a donc pas de garantie que cette position de blocage puisse être maintenue, si une importante transaction survenait et échouait.

Constat?

Si on tient à protéger Couche-Tard, la meilleure option semble de reprendre le lobbying sur Bay Street, de manière à faire passer cette proposition de reconduction des multivotantes.

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À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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