Budget du Québec: malheureusement, l'erreur se poursuit

Publié le 28/03/2017 à 16:28

Budget du Québec: malheureusement, l'erreur se poursuit

Publié le 28/03/2017 à 16:28

Mais d'où vient donc tout cet argent? Et pourquoi répète-t-on encore la même erreur?

Les questions nous sont rapidement venues à l'esprit, mardi, alors que nous avancions dans la lecture des documents budgétaires et additionnions les coûts des nouvelles annonces.

Au total, Québec annonce des dépenses supplémentaires (ou renonciation à des revenus) de 853,3 M$ pour l'exercice 2016-17 qui se termine le 31 mars. La majeure partie du cadeau est lié au remboursement de la taxe santé, qui coûte près de 450 M$.

Pour l'exercice 2017-18 le total des augmentations de dépenses et renonciations de revenus grimpe à plus de 1,4 G$. Cette fois, le gros des coûts supplémentaires vient de la baisse d'impôt (505 M$), de réinvestissements en éducation (plus de 230 M$) et d'une panoplie d'autres mesures pour soutenir l'environnement et l'économie.

Malgré les baisses d'impôts et hausses des dépenses, le gouvernement parvient quand même à afficher la même hauteur de surplus qu'il prévoyait à la mise à jour économique de l'automne et au dernier budget printanier.

Ces surplus peuvent sembler considérables: 2,29 G$ en 2016-17, près de 2,5 G$ en 2017-18, un peu plus de 2,8 G$ en 2018-20, un peu plus de 3,2 G$ en 2019-20 et autour de 3,6 G$ en 2020-21.

Ils peuvent sembler considérables, disions-nous, mais ils ne le sont pas. On y revient un peu plus bas.

D'abord, cherchons à comprendre comment on peut réussir à réinvestir autant alors qu'à l'automne encore, beaucoup pensaient que le gouvernement approchait de la fin de ses capacités de réinvestissement ou à accorder des baisses d'impôts.

Il peut sortir un lapin de son chapeau essentiellement pour deux raisons.

-L'économie tourne un peu plus rondement que ce qui était anticipé. Il rentre près de 350 M$ en 2017-17 et près de 500 M$ en 2017-18.

-Merci surtout à la péréquation. Il rentre ici beaucoup plus d'argent en paiements de transfert que ce qu'avait prévu la province: on reçoit plus de 800 M$ en 2017-18 et, attachez votre ceinture, on en recevra 1,1 G$ de plus que prévu en 2018-19. Apparemment, l'enveloppe a grimpé d'un 250 grâce à une croissance supérieure du PIB nominal fédéral. Mais le reste vient en bonne partie de l'amélioration de la capacité fiscale de l'Ontario et de la détérioration de celle du Québec (par rapport aux prévisions de Québec).

Les ministres ont beaucoup parlé de la bonne tenue de l'économie pour expliquer comment ils réussissaient à financer les baisses d'impôts et les réinvestissements. Ils n'ont curieusement pas dit un mot sur la péréquation, qui permet pourtant de financer plus de la moitié des nouveaux engagements de 2017-18.

Là où le gouvernement fait erreur

Arrivons à l'erreur. Elle n'est assurément pas de nature politique. Les baisses d'impôts et les réinvestissements feront plaisir et aideront à générer des votes. Elle est plutôt côté gestion, et est engendrée par ces malheureuses considérations de nature politique.

Bien que les réinvestissements dans les services publics puissent probablement se justifier (il faut réparer les pots cassés dans les systèmes de l'éducation et de la santé), les baisses d'impôts auraient dû être retardées.

De manière à se doter d'une réserve financière qui permette d'atteindre les objectifs de redressement des finances publiques de l'État et éviter d'avoir à traverser de nouvelles turbulences sociales dans l'avenir.

On le disait plus haut, les surplus à venir semblent à première vue importants. Ils ne le sont pas. Simplement parce qu'ils doivent obligatoirement se matérialiser et être virés au fonds des générations si on veut atteindre les objectifs de dette que l'on s'est fixés.

La loi prévoit que la dette brute du Québec doit être ramenée à 45% du PIB en 2026. Elle est aujourd'hui à 52,7% et devrait être à 52% l'an prochain.

Nous sommes en bonne route, mais la difficulté est que les prévisions du cadre financier ne prévoient le passage d'aucune récession dans les 10 prochaines années.

Monsieur Leitao a fait valoir que les prévisions de croissance de l'économie étaient prudentes. Ce qui est vrai. Sur l'horizon 2016-2020, la prévision est pour une croissance moyenne du PIB nominal de 3,2% (1,6% réel), et sur l'horizon 2021-2025, elle est à 3% (1,2% réel).

Il existe aussi certaines provisions budgétaires (coussins de sécurité) qui ne sont pas réellement pertinentes dans les premières années (100 M$), mais qui le sont davantage à la fin (900 M$ en 2021-22).

Mais une récession peut causer des dommages beaucoup plus considérables que les mesures de prudence qui sont au cadre budgétaire.

Celle de 2008-2009 a entraîné le Québec dans six années consécutives de déficits entre 2009-2010 et 2014-15. Ces déficits ont totalisé près de 15G$ et fait remonter le ratio dette/PIB d'un peu plus de 48% à 55%.

Il ne faut pas nécessairement anticiper que la prochaine récession sera aussi forte que celle de 2008, mais elle peut nettement faire déraper les projections financières et faire rater les objectifs de 2026.

Qu'a-t-on pour faire face à d'éventuels déficits en série (qui pourraient totaliser plus de 10 G$) et un PIB plus faible que prévu? Une réserve de stabilisation d'environ 2,5 G$.

C'est insuffisant.

C'est pourquoi il aurait mieux valu virer les montants des baisses d'impôts à cette réserve de stabilisation, qui sert à éponger les futurs déficits. Au mois de mars l'an prochain, cela aurait permis de lui ajouter 1 G$. Et 500 M$ dans les deux années suivantes. À 4 G$, il en manquerait encore un peu, mais nettement moins qu'à 2,5 G$, et on commencerait à parler.

"Il faut résister au chant des cigales dépensières et poursuivre notre chemin comme la fourmi de la fable", disait en point de presse le ministre du Conseil du trésor, Pierre Moreau, en citant Flaubert.

Le gouvernement a en partie résisté, mais il devrait profiter des surplus pour s'acheter des bouchons plus étanches.

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À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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