Bombardier: la famille fléchit, la Caisse fait une bonne affaire

Publié le 19/11/2015 à 18:52

Bombardier: la famille fléchit, la Caisse fait une bonne affaire

Publié le 19/11/2015 à 18:52

Photo: Shutterstock

Ça bouge vraiment vite, ces jours-ci, chez Bombardier(Tor., BBD.B). Après le gouvernement du Québec, c’est maintenant au tour de la Caisse de dépôt d’aider au renflouement.

Trois choses à retenir :

1-La Caisse fait une bonne affaire.

2- Paradoxalement, le choix de l’offre de la Caisse pourrait indiquer que Bombardier songe à vendre totalement ou partiellement une autre de ses divisions dans quelques années;

3-La famille Bombardier-Beaudoin perd de l’influence et est même en voie de perdre le contrôle de l’entreprise.

La Caisse fait une bonne affaire

Premier élément de discussion. L’investissement de la Caisse dans Bombardier est à première vue vraiment intéressant. On ne rentrera pas dans toutes les conditions, c’est éminemment complexe. Mais quand même, un peu de détails.

Si la situation de la division Transport ne périclite pas (il y a un risque, mais il semble contenu avec l’opération redressement), la Caisse obtient un rendement annuel composé garanti de 9,5% sur son investissement. Le mot «composé» est important, il fait notamment toute une différence par rapport à un financement par obligations, qui ne l’est pas. Ce 9,5% est en outre assorti de clauses ascenseurs qui font monter le rendement minimal garanti jusqu’à 15% par année (composé) si Bombardier décide de racheter la participation de 30% dans Transport ou si Bombardier vend sa propre participation.

L’investissement est enfin assorti de clauses de dilution de la participation de Bombardier dans Bombardier Transport afin de préserver la valeur de l’investissement de la Caisse jusqu’à un certain niveau si jamais les choses tournaient mal et que la division périclitait dans une certaine mesure.

Constat : la Caisse pouvait difficilement mieux obtenir.

Ce 9,5% de rendement composé (qui inclut le dividende actuel de Bombardier Transport) est comparable sinon supérieur au rendement historique moyen du S&P 500 incluant dividendes (tout dépend des périodes que l’on adopte). Il est accordé dans un contexte de marchés boursiers élevés, qui devraient avoir de la difficulté à livrer une progression du genre dans les prochaines années, et il est assorti d’importantes protections pour une partie du capital.

Évidemment, certains ne manqueront pas de faire le parallèle avec l’investissement du gouvernement du Québec dans le CSeries. Mentionnons en parenthèses que c’est un parallèle mal fondé. La Caisse est fiduciaire de ses déposants. Elle ne peut courir des risques de l’ordre de celui du CSeries. Le gouvernement est fiduciaire des contribuables et de l’économie du Québec. Il ne doit pas jauger son risque uniquement au niveau du placement mais aussi au niveau de l’impôt payé par la société, les travailleurs et une bonne partie de la grappe aéronautique. Son rôle n’est pas du tout le même.

Bon placement de la Caisse donc. Allons au deuxième point. 

Pourquoi la Caisse? Signal possible de vente totale ou partielle d’autres divisions

Ce qui est en fait le plus étonnant dans cet investissement, c’est le prix plutôt faible auquel se fait l’investissement de la Caisse dans Bombardier Transport.

L’intérêt de 30% pour 1,5 G$ US signifie que Bombardier Transport vaut 5 G$ US. C’est dans la basse fourchette de ce que lui accordaient jusqu’à maintenant la plupart des analystes. Et ces attentes n’incluaient pas de mesures de protection partielle du capital (ces mesures ont un prix).

Il y a quelques semaines, Reuters rapportait en outre que la société Beijing Infrastructure était prête à offrir une valeur d’entreprise de 7 à 8 G$ US pour une participation de 60% à 100%.

Bombardier n’aurait-elle pas plutôt dû simplement essaimer une participation de 30% sur une bourse européenne plutôt que de faire affaires avec la Caisse? N’aurait-elle pas alors obtenu un meilleur prix pour les actions de la division Transport, sans avoir à garantir de rendement (9,5%) et à concéder des clauses de dilution pour protéger partiellement le capital de nouveaux investisseurs?

La question a été effleurée en appel conférence. On s’attendait à ce que Bombardier réponde que les analystes avaient surévalué la division et que l’offre de la Caisse était la meilleure côté prix. Alain Bellemare a plutôt fait allusion au fait que l’offre de la Caisse était intéressante « parce qu’elle permettait de racheter la participation de la Caisse dans Bombardier Transport après trois ans ».

Décryptage : Bombardier semble croire qu’il se fera beaucoup d’argent dans Transport en 2018 et que, à ce moment, le financement de la Caisse (15% composé ou valeur marchande) lui coûtera moins cher que la prime (d'OPA) qu’elle devrait offrir pour convaincre d’autres minoritaires de lui vendre leurs actions.

Si elle a tort, et que les marges n’augmentent pas, la direction vient de commettre une bourde. Le financement avec la Caisse coûte plus cher que n’importe quel autre.

Si elle parvient à redresser ses marges par contre, on pourrait assister à un redressement assez significatif du titre, avec une bonification de rendement du fait d’avoir choisi l’option Caisse. Le pari est intéressant.

Pourquoi disions nous que le choix de la Caisse pourrait signaler la vente partielle ou totale d’une autre division?

Parce que la question associée au pari de la direction est la suivante : avec quel argent Bombardier pourrait-elle racheter la Caisse?

Deux options : si la rentabilité de Bombardier Transport est bonne, il n’est pas impossible que Bombardier emprunte et ne transporte cette dette dans la division Transport (qui n’en a pas actuellement). Après toutes les difficultés rencontrées ces dernières années en raison de son endettement, il est cependant douteux que ce soit la voie que songe à emprunter Bombardier.

Reste la deuxième option, celle de vendre totalement ou partiellement une division et d’utiliser l’argent obtenu pour racheter la Caisse. Les divisions en cause sont bien entendu celle du CSeries/jets régionaux ou encore celle des avions d’affaires.

Une situation à suivre.

La famille perd de l’influence et le contrôle

Un petit financement de bons souscription est passé inaperçu en journée et est pourtant très signifiant au plan historique. La Caisse obtient la possibilité d’acquérir des actions de classe A de la société mère (multivotantes).

Elle a présenté ce financement comme accessoire, le qualifiant en quelque sorte de cerise sur le sundae. Il semble néanmoins aussi être le clou dans le cercueil pour le contrôle de la famille Bombardier-Beaudoin.

En journée, Bombardier nous a indiqué par courriel que ce financement ne faisait pas perdre le contrôle à la famille. Si tous les bons de souscriptions sont exercés dans les prochaines années (et ils le seront si les plans fonctionnent), les calculs de la Caisse indiquent de leur côté que le vote de la famille tombera à 49,4%.

Ce n’est pas majeur dans la réalité, mais la marque est quand même importante d’un point de vue symbolique.

On notera en outre que l’influence de la famille sera désormais plus encadrée. Les administrateurs indépendants de Bombardier représentent 7 sièges sur 11. La nomination de tout nouvel administrateur indépendant devra maintenant recevoir l’aval de la Caisse.

De mémoire, on n’a jamais vu pareille influence de la part d’un investisseur ne détenant que 2-3% d’une société.

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À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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