BCE songe-t-elle à acheter Cineplex ?


Édition du 29 Septembre 2018

BCE songe-t-elle à acheter Cineplex ?


Édition du 29 Septembre 2018

[Photo: 123RF]

Avez-vous entendu la dernière rumeur ? BCE pourrait souhaiter faire son entrée dans l'industrie du cinéma en achetant Cineplex. Scénario plausible ou peu crédible ?

La rumeur court depuis le milieu du mois d'août. L'analyste Adam Shine, de la Financière Banque Nationale, s'est récemment penché sur la question en augmentant sa recommandation pour en tenir compte.

D'où vient-elle ?

Comme c'est le propre des rumeurs, on l'ignore.

L'analyste note cependant que, depuis l'arrivée de George Cope aux commandes de BCE, l'entreprise a effectué des acquisitions de 3 à 4 milliards de dollars aux deux ans (Cineplex vaut 2 G$, 500 millions de dollars de plus en incluant la dette).

Aliant et MTS valaient chacune 3,9 G$ et offraient une expansion géographique, de même que des synergies d'exploitation. CTV et Astral valaient en moyenne 3,3 G$ et permettaient une diversification dans les médias.

Nous voilà maintenant deux ans après la dernière acquisition et le marché se demande ce que fera BCE. Outre SaskTel, qui n'est pas à vendre, elle n'a plus vraiment d'option en téléphonie. Côté radio ou télé, toute acquisition ferait assurément face à des difficultés réglementaires.

D'où l'option Cineplex.

Les pour

M. Shine estime que Cineplex permettrait de diversifier les revenus médias de Bell. Bien que le box-office soit souvent volatile de trimestre en trimestre, les pressions qu'il subit ne sont pas aussi importantes que celles observées en télévision. Les 165 cinémas pourraient être renommés pour offrir à Bell plus de visibilité publicitaire. Il y aurait peut-être aussi moyen d'utiliser les billets de cinéma et les concessions pour donner du levier aux activités téléphoniques. Et vice-versa.

Il se trouverait en parallèle un certain nombre de synergies de coûts, notamment en éliminant des fonctions au siège social, mais aussi dans les activités d'affichage publicitaire sur écran numérique que mène Cineplex.

Et si BCE décidait de vendre les projets de complexes récréatifs Rec Room, Playdium et Topgolf, les flux de trésorerie de Cineplex s'amélioreraient considérablement. Les investissements dans le développement de ces nouveaux produits (une dizaine de Rec Room doivent s'ajouter aux cinq actuelles dans les prochaines années ; c'est moins clair pour Topgolf) pèsent actuellement sur le bilan de l'entreprise, qui n'a en outre pas suffisamment de flux pour couvrir à 100 % son dividende.

Les contre

L'analyste estime qu'avec de nouvelles enchères de spectre qui s'amènent après 2018, BCE pourrait souhaiter ne pas voir son taux d'endettement augmenter. Bien que si la transaction était financée à 50 % en actions et 50 % en argent, le ratio d'endettement ne grimperait pas tellement (15 points de base).

Il se pourrait également que devant la constitution d'un tel poids lourd, le Bureau de la concurrence soit tenté de forcer la vente d'un certain nombre de cinémas. La part du box-office de Cineplex s'élève à près de 77 %.

La pierre d'achoppement la plus importante pourrait cependant se trouver du côté des multiples d'évaluation. BCE se négocie à 8 fois le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA), alors que Cineplex est à 10,1 fois. Pour offrir une prime d'acquisition, il faudrait vraisemblablement que BCE paie autour de 11,6 fois le BAIIA, un taux beaucoup plus élevé que ce que l'entreprise a payé pour toute autre acquisition.

Si BCE ne bouge pas, devrions-nous ?

Payer un fort multiple n'est pas à nos yeux un problème en soi. Le marché isolerait probablement l'acquisition et continuerait de lui appliquer un multiple différent de celui appliqué aux autres activités. Il faut cependant qu'à l'avenir, la croissance du bénéfice soit bonne de manière à ce qu'ultimement, ce multiple diminue naturellement (et non par un recul de valeur). Le marché voit actuellement le BAIIA de l'entreprise croître de 11 % en 2018, de 8,7 % en 2019 et de 11 % en 2020, selon les consensus recensés par Reuters.

C'est une croissance plausible qui, si elle se concrétise, devrait normalement permettre de soutenir le multiple actuel. Toute chose étant (relativement) égale, cela signifierait un rendement du titre d'environ 10 % pour chacune des deux prochaines années (auquel peut être ajouté le rendement de dividende de 5,5 %).

On a personnellement quand même quelques doutes sur cette croissance. Il y a en fait toutes ces interrogations sur la consommation de contenus sur différentes plateformes. Les productions originales se multiplient (Netflix, CBS, Showtime, etc.) et on peut les regarder à tout moment sur diverses plateformes. Certains y voient le début de la fin pour les cinémas. Plus de contenus intéressants à regarder à la maison pour moins cher.

Qui examine le box-office nord-américain constatera qu'au cours des 10 dernières années, il a quand même affiché une tendance à la hausse. Mais c'est parce que l'on a constamment relevé les prix d'entrée. La tendance de fréquentation est à la baisse (voir notre graphique).

Il est vrai que lors de la dernière récession, les revenus n'ont pas été affectés et ont même eu tendance à augmenter.

C'était cependant avant de nouvelles hausses de prix (plus importantes que l'inflation). Le phénomène se répétera-t-il de nouveau à la fin du cycle actuel ?

Peut-être, et alors le titre de Cineplex est effectivement intéressant.

Sachant cependant que le titre de la société s'est historiquement négocié dans une fourchette entre 9 et 13 fois le BAIIA, quelque chose nous dit que BCE pourrait juger qu'il vaut mieux laisser le cycle actuel s'éteindre avant de faire une offre à prime (à 11,6 fois le BAIIA).

Même à 10 fois (multiple actuel), c'est ce que l'on ferait.

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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