Vers un tremblement de terre politique en France?

Publié le 15/04/2017 à 09:43

Vers un tremblement de terre politique en France?

Publié le 15/04/2017 à 09:43

Voici une photo d'une récente manifestation anti-Le Pen. Photo: Gettyimages

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Ce scénario est peu probable, mais il pourrait néanmoins se réaliser: un duel entre les candidats de l’extrême gauche et de l’extrême droite, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, au second tour de l’élection présidentielle en France. L’onde de choc sur l’économie du pays serait majeure, peu importe le vainqueur.

L’élection française –dont le premier tour aura lieu 23 avril et le second le 7 mai– est sans doute le scrutin le plus important dans le monde depuis un an après le référendum sur le Brexit au Royaume-Uni, en juin, et l’élection présidentielle aux États-Unis, en novembre.

Actuellement, le scénario le plus probable est que Marine Le Pen, la leader du Front national (le premier parti de France) affronte le candidat centriste Emmanuel Macron, un ancien ministre socialiste, et que ce dernier l’emporte haut la main.

Pratiquement tous les sondages réalisés en avril montrent que Le Pen et Macron sont nez à nez dans les intentions de vote (de 23% à 25%), rapporte le Financial Times. Ils sont cependant suivis de près par François Fillon, le candidat de la droite, et Jean-Luc Mélenchon, le leader du mouvement La France insoumise.

À lire, notre dossier: Le Canada face à la menace protectionniste

Or, Mélenchon est clairement le candidat qui a le vent dans les voiles depuis quelques semaines, profitant de l’effondrement du candidat socialiste Benoit Hamon.

C’est pourquoi tout est possible lors du premier tour du 23 avril (11 candidats sont en lice), souligne Le Monde, en citant les résultats d’une enquête réalisée par Isos-Sopra Steria, les 12 et 13 avril.

«On se retrouve dans une situation sans précédent depuis un demi-siècle: quatre candidats -François Fillon, Marine Le Pen, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon- ont la possibilité de se qualifier pour le second tour.»

D’où la possibilité que les deux candidats qui passeront au second tour ne soient issus ni de la gauche ni de la droite traditionnelle en France, mais plutôt de l’extrême gauche et de l’extrême droite.

Mais pas de panique: les assises de la démocratie française sont solides; la cinquième république ne risque pas de se transformer en un régime communiste ou fasciste, comme le craignent certains observateurs.

Comme les historiens le disent avec justesse, nous ne sommes pas dans les années 1930.

Cela dit, un duel Mélenchon-Le Pen au second tout aurait un impact majeur sur la société et l’économie française, car les programmes des deux candidats comprennent de mesures potentiellement négatives pour la France, l’Europe, voire le monde.

Par exemple, Marine Le Pen souhaite sortir la France de l’Union européenne (par un référendum, à l’instar du Brexit), si elle n’arrive pas à rapatrier des pouvoirs de Bruxelles à Paris.

Pour sa part, Jean-Luc Mélenchon veut renégocier les traités européens et ne menace rien de moins que de couper les vivres à l’UE si celle-ci n’arrive pas à se réformer.

Dans les deux cas, l’Union se prépare à vivre une autre crise politique après la Grèce, les vagues de migrants, le terrorisme islamique, l’ingérence de la Russie en Europe orientale et le Brexit, sans parler de l’élection de Donald Trump.

Regardons de plus près leurs principales mesures économiques qui risquent d’avoir un impact, en commençant par celles de Jean-Luc Mélenchon:

 Ce que propose Jean-Luc Mélenchon

*Refuser les traités internationaux de libre-échange comme l’Accord économique et commercial global (AÉCG) signé avec le Canada (qui n’est pas encore en vigueur).

*Suspendre la contribution de la France au budget de l’Union européenne.

*Sortir la France de l’OTAN.

*Adopter des mesures protectionnistes d’urgence «pour sauver les industries stratégiques» telles que l’acier et le photovoltaïque.

*Séparer les banques d’affaires qui spéculent et les banques de détail «qui aident aux investissements dans l’économie réelle».

*Nationaliser la branche Énergies Marines d’Alstom cédée à General Electric.

*Contrôler les mouvements des capitaux et des marchandises aux frontières nationales.

*Surtaxer les revenus des riches (plus de 400000 euros par année).

*Interdire les licenciements boursiers et le versement des dividendes dans les entreprises «ayant recours à des licenciements économiques».

L’adoption de ces mesures aurait des conséquences majeures, même si certaines d’entre elles ont déjà été mises en place en France ou ailleurs en Occident après la Deuxième Guerre mondiale.

On peut donner l’exemple du contrôle des capitaux, du cloisonnement des activités des institutions financières ou des nationalisations.

Ce que propose Marine Le Pen

Le Front national propose aussi plusieurs mesures qui auraient un impact majeur sur l’économie, dont plusieurs ressemblent à celles proposées par Jean-Luc Mélenchon:

*Rétablir les frontières nationales et sortir de l’espace Schengen en Europe.

*Mettre en place un plan de réindustrialisation dans le cadre d’une coopération «associant l’industrie et l’État-stratège pour privilégier l’économie réelle face à la finance spéculative».

*Instaurer un «vrai patriotisme économique» en libérant la France des contraintes européennes et en réservant la commande publique aux entreprises françaises si l’écart de prix est raisonnable.

*Assurer la protection des «secteurs stratégiques et porteurs» par un contrôle des investissements étrangers qui portent atteinte aux intérêts nationaux grâce à la création de l’Autorité de sûreté économique.

*Priver d’accès aux marchés publics les multinationales qui pratiquent l’évitement fiscal et refusent de régulariser leur situation.

*Quitter le commandement militaire intégré de l’OTAN.

*Refuser les traités de libre-échange comme l’Accord économique et commercial global (AÉCG) signé avec le Canada.

*Interdire l’importation des produits agricoles et alimentaires qui ne respectent pas les normes de production françaises.

*Soutenir les entreprises françaises face à la «concurrence internationale déloyale» en mettant en place un «protectionnisme intelligent» et en rétablissant le franc.

L’économie française pâtirait aussi de ces mesures. Mais là aussi, plusieurs d’entre elles ont déjà été déployées par le passé en France ou ailleurs en Occident depuis 1945.

Mentionnons la protection des secteurs stratégiques, la présence de frontières nationales ou l’existence d'une monnaie nationale (comme du reste dans la plupart des pays dans le monde).

Attention au scénario le plus probable

La gestion de risques géopolitiques implique de tenir compte de tous les scénarios, incluant les plus improbables (un duel Le Pen-Mélenchon au second tour).

Dans le cas de la présente élection française, le scénario le plus probable –selon les sondages et la plupart des analystes– est un duel au second tour entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, un duel qui devrait être gagné par le candidat centriste.

Cela dit, l’élection de Donald Trump nous rappelle qu’il faut parfois se méfier des scénarios les plus susceptibles de se réaliser –la victoire d’Hillary Clinton aux États-Unis.

Car, si les États-Unis ont vécu un tremblement de terre le 8 novembre, la France pourrait en vivre un à son tour le 7 mai, avec à l’Élysée (l’équivalent de la Maison-Blanche) un président d’extrême gauche ou une présidente d’extrême droite.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand