Une frontière plus fluide depuis le 11 septembre 2001

Offert par Les Affaires


Édition du 08 Septembre 2021

Une frontière plus fluide depuis le 11 septembre 2001

Offert par Les Affaires


Édition du 08 Septembre 2021

(Photo: Joseph Paul pour Unsplash)

ZOOM SUR LE MONDE. Les exportateurs se souviennent à quel point les attentats du 11 septembre 2001 ont bouleversé le commerce et la fluidité à la frontière. Vingt ans plus tard, un constat s’impose : non seulement les camions franchissent facilement la douane, mais ils le font beaucoup plus rapidement qu’avant cette attaque.

Bien entendu, la pandémie de COVID-19 améliore le passage des marchandises, puisque l’interdiction pour les Canadiens de se rendre aux États-Unis en voiture libère les allées pour franchir la douane américaine en camion.

Pour autant, les spécialistes de l’industrie interviewés par Les Affaires, dont Marc Cadieux, président de l’Association du camionnage du Québec, soulignent que la fluidité était déjà beaucoup mieux en 2019 qu’en août 2001.

Tout un contraste avec les années 2000.

Durant cette décennie, les exportateurs, les transporteurs et les chauffeurs de camion ont dû se soumettre à de strictes mesures de vérification de sécurité et de prédédouanement, et ce, des programmes FAST (pour les camionneurs) à C‑TPAT (pour tous les acteurs de la chaîne logistique, incluant les entreprises manufacturières).

C’est sans parler de l’attitude de douaniers américains, sur le qui-vive et souvent zélés.

J’ai goûté à cette médecine le 17 juillet 2006, lorsque j’ai fait un aller-retour en camion sur la côte est pendant deux jours avec Pierre Aubin, le président de l’Express du midi, un transporteur québécois.

 

Interrogatoire à la frontière

Cinq ans après les attentats, je voulais voir comment se déroulait un passage à la frontière. Disons que j’ai été gâté… sur le plan journalistique.

Quand le douanier américain du poste Champlain (dans le nord de l’État de New York) a constaté que j’étais reporter, il m’a sommé de le suivre afin qu’il puisse m’interroger dans le bâtiment administratif.

L’interrogatoire — peu cordial, mais pas agressif — a duré une dizaine de minutes. L’homme m’a demandé la raison pour laquelle je voulais faire un article sur la frontière, si j’étais déjà venu aux États-Unis, par quel poste j’étais passé, sans parler de la longueur de mon futur reportage.

Ce 17 juillet 2006, le camion de l’Express du midi a finalement pris 45 minutes pour franchir la douane, incluant mon interrogatoire.

J’ai récemment contacté Pierre Aubin pour savoir comment les choses se passaient aujourd’hui. « On traverse plus facilement la frontière qu’avant les attentats », observe cet entrepreneur qui possède aussi deux autres entreprises de camionnage.

Avant le 11 septembre 2001, il fallait compter de 30 à 60 minutes (parfois plus) pour franchir la douane, selon ses estimations. Aujourd’hui, il faut de 5 à 10 minutes. Et si 15 minutes sont nécessaires, c’est qu’il y a un problème avec l’information envoyée à l’avance à la douane américaine, insiste Pierre Aubin.

Les données de Transport Canada pour l’ensemble des postes frontaliers confirment que la situation s’est améliorée et s’améliore toujours. En 2015, le temps moyen d’attente était de 40 minutes. En 2018, il avait chuté à 12 minutes, pour glisser à 10 minutes en 2020.

 

20 ans d’exportations en montagnes russes

Le commerce avec les Américains a aussi pâti des attentats, même si la situation est aussi revenue à la normale.

En 2019, les exportations de marchandises du Québec ont même fracassé un record de 66,4 milliards de dollars (G$) canadiens, selon l’Institut de la statistique du Québec. En 2020, elles ont toutefois reculé de 10 %, à 60 G$, en raison de la pandémie.

Eh bien, ce total est inférieur à 2000 (63,5 G$). Cette année avait été précédée par une croissance folle dans les années 1990, stimulée par l’entrée en vigueur du libre-échange canado-américain en 1989.

Un an plus tôt, en 1988, les expéditions québécoises s’y s’élevaient à 18 G$.

C’est dire à quel point les attentats du 11 septembre 2001 ont mis un terme à cette belle lancée, alors que les États-Unis sortaient d’une petite récession (de mars à novembre 2001).

Ainsi, de 2000 à 2003, les exportations québécoises ont dégringolé de 16 % pour s’établir à 53,2 G$. Elles ont repris leur souffle par la suite, mais sans récupérer le terrain perdu. Elles ont même à nouveau décliné à compter de 2006.

Le pire était à venir. Lors de la grande récession américaine (de décembre 2007 à juin 2009), les exportations du Québec ont chuté drastiquement pour atteindre 40,2 G$ en 2010, du jamais vu depuis 1996.

Bien entendu, d’autres facteurs que les attentats de septembre 2001 expliquent ces 20 dernières années en montagnes russes au chapitre du commerce extérieur avec les États-Unis.

Outre la Grande Récession, il y a la diversification des marchés étrangers du Québec, surtout avec la Chine, qui a accédé à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, explique Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et exportateurs du Québec.

De 2006 à 2020, les exportations québécoises y ont été multipliées par cinq, passant de 886,2 millions de dollars à 4,8 G$, dopées par la baisse des tarifs douaniers et à la croissance chinoise.

À l’époque, tout devenait également compliqué aux États-Unis en raison du renforcement des contrôles frontaliers et du risque de nouveaux attentats.

Aussi, ce contexte incertain a sans doute convaincu bien des exportateurs québécois de ne pas tout mettre leurs œufs dans le même panier du marché américain.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand