Ukraine: une seule sortie de crise réaliste

Publié le 29/01/2022 à 09:00

Ukraine: une seule sortie de crise réaliste

Publié le 29/01/2022 à 09:00

Des unités de chars ukrainiens assistant au défilé militaire du Jour de l'Indépendance, à Kiev, la capitale de l'Ukraine, le 24 août 2021. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Il n’y a pas 36 solutions pour éviter une guerre en Europe de l’Est à propos de l’Ukraine: il faut trouver un compromis qui puisse à la fois satisfaire les Ukrainiens, les Russes et les Occidentaux. Et ce compromis serait d’accorder à l’Ukraine le même statut que celui de la Finlande ou de l’Autriche durant la guerre froide, c’est-à-dire un État neutre et non aligné.

Plusieurs spécialistes en relations internationales l’affirment, dont Jocelyn Coulon, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM), et ancien conseiller du ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion (de novembre 2015 à janvier 2017).

Il a répondu aux questions de Les Affaires cette semaine à ce sujet.

Mais avant d’aller plus loin, une mise en contexte historique s’impose afin de comprendre qui sont les principaux acteurs et leur position respective dans cette crise internationale.

Quelque 100 000 soldats russes sont actuellement massés au nord-est de l’Ukraine, une ancienne république de l’ex-URSS, devenue indépendante en 1991. Cette crise survient alors qu’une guerre civile sévit dans l’est du pays — opposant Kiev à des séparatistes prorusses — et a fait 13 000 morts depuis 2014.

Cette année-là, la Russie a annexé la Crimée, une région que l’ex-Union soviétique avait cédée à l’Ukraine en 1954.

Les tensions sont vives. Les États-Unis et l’Ukraine affirment que la Russie pourrait attaquer le pays cet hiver. Moscou rétorque pour sa part qu’elle n’a pas l’intention d’envahir son voisin ukrainien, et qu’il réagit aux provocations des Occidentaux, à commencer par celle des Américains.

Difficile de savoir avec certitude où se situe la vérité, ce qui crée beaucoup d’incertitude, notamment pour les entreprises et les investisseurs canadiens actifs en Europe de l’Est.

 

Les origines de la crise en Ukraine

Chose certaine, on connaît les positions des parties.

La Russie refuse que l’Ukraine adhère un jour à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), comme l’ont déjà fait trois anciennes républiques soviétiques (les pays baltes, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie, en 2004), en plus de pays satellites de Moscou à l’époque de la guerre froide, dont la Pologne (en 1999) et la Roumanie (en 2004).

Certes, à la fin de la guerre froide au tournant des années 1990, Moscou préférait que les troupes américaines demeurent en Europe et que l’OTAN soit maintenue. Cela garantissant que l’Allemagne réunifiée demeure pacifique. En revanche, la Russie ne voulait pas que l’OTAN prenne de l’expansion.

Or, les Occidentaux ne l’ont pas écoutée, ce qui explique la raison pour laquelle nous sommes plongés aujourd'hui dans cette crise autour du statut de l’Ukraine, qui a commencé en 2013-2014.

John J. Mearsheimer, un spécialiste en relations internationales à l’Université de Chicago, l’explique bien dans un article publié en 2014 dans le magazine américain Foreign Affairs, «Why the Ukraine Crisis Is the West’s Fault».

C’est la raison pour laquelle les Russes demandent aujourd’hui aux Américains de s’engager à ne pas permettre l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Ces derniers ont refusé cette semaine, prétextant que l’organisation ne pouvait pas accorder un droit de veto à la Russie.

Quant à l’Ukraine, elle souhaite joindre l’alliance atlantique pour assurer sa sécurité, mais c’est techniquement impossible dans un avenir prévisible, principalement parce que la France et l’Allemagne s’y opposent.

Le statut de l’Ukraine est un vrai panier de crabes.

Si l’OTAN accepte un jour l’ancienne république soviétique dans ses rangs, ce sera la guerre, assurément.

Les Russes ne l’accepteront jamais.

En revanche, les États-Unis et les principales puissances européennes ne peuvent pas vraiment non plus acquiescer à la demande Moscou, et laisser tomber à nouveau les Ukrainiens dans l’orbite des Russes.

Bien qu'imparfaite, l’Ukraine est une démocratie émergente, alors que la Russie est un pays autoritaire. Et ce n’est pas le souhait d’une majorité d’Ukrainiens, qui sont de plus en plus tournés vers l’Europe occidentale.

 

Le président russe, Vladimir Poutine, et le président américain, Joe Biden, se serrant la main avant le début de leur sommet, à Genève, en Suisse, en juin 2021. (Photo: Getty Images)

Bien entendu, dans un monde idéal, l’Ukraine et les Ukrainiens devraient pouvoir adhérer ou non à l’OTAN, voire un jour à l’Union européenne, sans aucune interférence extérieure. Or, les relations internationales ne reposent pas sur l’idéalisme, mais sur le réalisme politique.

Cette théorie s’appuie sur la poursuite et la défense des intérêts nationaux des États.

Or, l’intérêt des Russes est que l’Ukraine ne tombe pas dans la zone d’influence de l’Occident, tandis que celui des Occidentaux est que l’Ukraine ne retombe pas dans celle de Moscou.

D’où la nécessité de trancher la poire en deux, en faisant de l’Ukraine un pays neutre, comme l’ont été la Finlande et l’Autriche durant la guerre froide, et qui n’ont jamais adhéré à l’OTAN, même après la chute du communisme en Europe.

 

Le statut de l’Autriche et de la Finlande

Jocelyn Coulon souligne toutefois que les deux cas sont très différents.

«L’Autriche a été annexée par l’Allemagne nazie en 1938, et a été occupée par les quatre alliés en 1945 [États-Unis, URSS, France, Royaume-Uni]. Après dix ans de négociations, tous se sont entendus pour lui redonner sa souveraineté en 1955 pourvu qu’elle accepte d’être neutre», indique-t-il.

Le chercheur au CÉRIUM explique que c’est à cette condition que l’ex-URSS a signé le traité et a retiré ses troupes en même temps que le retrait des troupes des trois autres pays.

Pour sa part, la Finlande est indépendante depuis 1918, et elle n’a jamais été occupée ni par les Soviétiques ni par les Nazis.

«Elle a rejoint le camp allié vers la fin de la guerre et a signé un traité de paix séparé avec l’URSS. Elle accepte de respecter une stricte neutralité, ce qui lui permet de maintenir une économie libérale et ses institutions démocratiques», souligne Jocelyn Coulon.

Fait intéressant, il indique que ce pays demeure depuis 1945 «un pont entre la Russie et l’Occident», comme le démontrent les multiples conservations entre son président et Vladimir Poutine, sans parler des rencontres qui s’y déroulent souvent (par exemple, le sommet Poutine-Trump, en 2018).

«L’Ukraine a une tout autre histoire, mais les modalités d’un règlement de la crise actuelle pourraient s’inspirer des deux cas», estime Jocelyn Coulon.

Les Russes et les Américains pourraient y trouver leur compte. Quant aux Ukrainiens, un statut de neutralité ne serait pas nécessairement un scénario idéal pour eux, mais il aurait au moins le mérite d’offrir une sortie de crise réaliste.

Et d’assurer une certaine stabilité politique dans cette région du monde dans un avenir prévisible.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand