Terrorisme: quel prix sommes-nous prêts à payer pour la sécurité?

Publié le 28/05/2017 à 09:37

Terrorisme: quel prix sommes-nous prêts à payer pour la sécurité?

Publié le 28/05/2017 à 09:37

Des policiers britanniques en patrouille (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Le terrible attentat de Manchester au Royaume-Uni relance le débat sur la stratégie à mettre en place afin de mieux protéger les citoyens contre le terrorisme. Mais sommes-nous prêts à accepter une érosion de nos libertés individuelles pour être davantage en sécurité?

Tous les attentats terroristes sont tragiques. Mais celui de Manchester, revendiqué par l’organisation État islamique, a particulièrement frappé les esprits en raison de la cible, soit des enfants -une forte majorité de jeunes filles- qui assistaient à un concert de musique.

Comme lors de chaque attentat perpétré par des djihadistes, les citoyens ont rendu hommage aux victimes en déposant des fleurs sur les lieux de l’attentat. Depuis quelques années, c’est pratiquement devenu un rituel après une attaque.

En attendant la prochaine…

Car, il s’est installé un sentiment de fatalité en Occident selon lequel les attentats terroristes font désormais partie de notre quotidien.

Bien entendu, les autorités essaient de combattre le terrorisme. Au fil des ans, elles ont d’ailleurs réussi à empêcher des dizaines d’attaques. Mais force est de constater qu’elles ne peuvent pas toutes les prévenir.

Depuis le 11 septembre 2001, les djihadistes ont frappé plusieurs pays occidentaux, dont la France, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Allemagne et les États-Unis.

Les terroristes s’adaptent aussi aux mesures et aux contrôles mis en place pour les combattre, souligne Stratfor, une firme américaine spécialisée dans l’analyse géopolitique.

C’est pourquoi les cibles des djihadistes ont aussi évolué dans le temps.

Pendant des années, ils ont ciblé les avions, s’en servant même comme des armes. Face à l’augmentation des contrôles, ils ont ensuite visé les aéroports et les transports publics tels que les métros, les trains ou les autobus.

Aujourd’hui, les djihadistes ciblent davantage des lieux festifs, des restaurants ou des salles de concert.

Ils s’attaquent aussi désormais à tout le monde, et non plus seulement aux symboles du pouvoir politique et économique.

Et l’effet recherché -terroriser l’ensemble de la population- est en grande partie atteint, car ces attentats tuent souvent de jeunes enfants.

Qu’on le veuille ou non, une peur s’est tranquillement installée dans l’esprit des Occidentaux quand ils fréquentent des endroits publics.

Une bombe peut-elle y exploser?

Un terroriste peut-il foncer dans la foule avec un véhicule?

Des questions fondamentales

Dans ce contexte, on doit se poser certaines questions fondamentales.

Sommes-nous prêts à vivre désormais avec cette menace terroriste? Si la réponse est non, que sommes-nous prêts à accepter pour réduire ce risque?

En théorie, si tous les citoyens étaient systématiquement surveillés par l’État, espionnés dans leur moindre geste, la menace terroriste serait grandement réduite, voire nulle.

Mais ce serait la fin de la démocratie.

Nous vivrions alors dans un véritable État policier où la vie privée n’existerait plus, comme dans les régimes communistes.

Bien entendu, une telle approche sécuritaire est extrême et incompatible avec nos régimes démocratiques, même si la vie privée s’y érode déjà en raison des réseaux sociaux et des progrès technologiques.

En pratique, toutefois, les autorités pourraient sans doute aller un peu plus loin dans la surveillance des citoyens jugés potentiellement plus à risque de commettre des attentats, estiment les spécialistes.

Par contre, le danger serait de sombrer dans un profilage racial systémique, qui viserait davantage les citoyens d’origine musulmane. Ce qui serait aussi incompatible avec l’État de droit.

Il faudrait donc trouver un nouvel équilibre entre la liberté et la sécurité.

Comprendre la vraie nature du terrorisme

Il faudrait aussi collectivement bien comprendre la menace que représente réellement le terrorisme pour nos sociétés, sans minimiser pour autant son impact sur les victimes et leurs proches.

Et à ce chapitre, une statistique publiée par le magazine Foreign Policy démontre à quel point on accorde par exemple aux États-Unis une importante démesurée au terrorisme par rapport au nombre aux personnes tuées par des armes à feu.

Entre 2004 et 2014, les terroristes ont tué 303 Américains dans le monde, selon PolitiFact. Pendant la même période, les armes à feu ont fauché plus de 320 000 Américains aux États-Unis, soit 1000 fois plus!

Bref, la menace que représentent les armes à feu aux États-Unis est beaucoup plus importante que celle posée par les terroristes.

Or, selon Foreign Policy, le pays dépense des sommes importantes afin de protéger les Américains contre une menace relativement marginale par rapport aux armes à feu que l'on peut acheter partout ou presque.

Bien entendu, Washington a raison d'investir afin de protéger ses citoyens contre le terrorisme. Toutefois, les statistiques montrent qu'ils devraient investir massivement ou légiférer pour les mettre à l'abri des armes à feu.

Enfin, la lutte au terrorisme implique aussi une meilleure compréhension des motivations des djihadistes.

Que cherchent-ils à faire en commettant ces attentats?

À se venger? À diviser la population? À créer un climat de «guerre civile» entre les chrétiens et les musulmans en Occident? À affaiblir la démocratie?

Les avis sont partagés à ce sujet.

Par exemple, plusieurs analystes estiment que les terroristes réagissent à la politique des pays occidentaux dans le monde arabo-musulman, au premier chef celle des États-Unis.

Le renversement du régime de Saddam Hussein en Irak, en 2003, a créé un ressentiment anti-américain, en plus d’avoir contribué à la naissance de l’État islamique, que Washington et ses alliés combattent actuellement en Syrie et en Irak.

Dans ce contexte, les Occidentaux seraient donc en partie responsables des attentats perpétrés par les djihadistes sur leur territoire. Par conséquent, l’Occident serait en sécurité s’il n’intervenait pas dans cette région du monde.

Pour d’autres analystes, les terroristes ne s’attaquent pas à l’Occident pour ce qu’il fait, mais pour ce qu’il est, c’est-à-dire une civilisation qui prône notamment l’égalité homme-femme et qui respecte les minorités sexuelles et religieuses.

Dans une analyse publiée dans Le Monde diplomatique, un spécialiste de l’islam radical souligne que le djihadisme est une idéologie globale qui prétend offrir aux «croyants» un nouveau départ, une nouvelle identité et un nouveau mode de vie pour réussir ici-bas et dans l’au-delà.

«En somme, une représentation du monde qui donne la certitude d’appartenir à quelque chose de plus grand que soi: le groupe d’élus chargé par Dieu de rétablir la vraie religion et de réunifier l’oumma (la communauté des croyants) sous l’égide du califat -la monarchie universelle islamique-, avant de se lancer à la conquête du monde et d’obtenir le salut.»

Dans ce contexte, la politique étrangère des pays occidentaux a somme toute peu d’influence sur l’agenda des djihadistes en Occident.

Peu importe leurs motifs, cela ne change du reste rien à la menace que représentent les terrosites.

Mais encore faut-il bien comprendre la nature de cette menace et savoir ce à quoi les citoyens sont prêts à accepter pour la réduire.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand