Tensions avec la Chine: et si le Canada contre-attaquait?

Publié le 29/06/2019 à 08:30

Tensions avec la Chine: et si le Canada contre-attaquait?

Publié le 29/06/2019 à 08:30

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Après l’emprisonnement de deux Canadiens en Chine et l’interdiction des semences canadiennes de canola, les tensions entre Ottawa et Pékin se sont accentuées avec la suspension des importations de viande canadienne. Alors que la stratégie d’apaisement du Canada pour sortir de cette crise ne donne pas de résultats concrets, le temps est peut-être venu de sortir l’artillerie lourde et de contre-attaquer.

La question se pose dans un contexte où les Chinois accentueront de toute manière la pression sur le Canada tant et aussi longtemps que les autorités canadiennes ne libéreront pas la cheffe de la direction financière de Huawei, Meng Wanzhou, affirment certains analystes.

La police canadienne l’a arrêtée lors d’une correspondance à Vancouver, en décembre, à la demande de la justice américaine.

La justice américaine demande l’extradition de Mme Meng afin qu’elle réponde à des accusations de fraude en lien avec des contrats que Huawei aurait conclus avec l’Iran, contrevenant ainsi aux sanctions américaines décrétées contre Téhéran.

Depuis ce temps, la cheffe de la direction financière du géant chinois des télécoms est assignée à résidence à Vancouver, tandis que les deux Canadiens arrêtés en Chine, l’ancien diplomate Michael Kovrig et l’homme d’affaires Michael Spavor, croupissent en prison.

Les autorités chinoises affirment les détenir au nom de la sécurité nationale.

Pékin soupçonne entre autres Michael Kovrig d’espionnage et de vols de secrets d’État. Or, selon Ottawa et les autres puissances occidentales, ces deux arrestations seraient en fait une mesure de représailles à l’arrestation de Mme Meng, ce que dément le gouvernement chinois.

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Dans ce contexte, la suspension des importations de porc et de bœuf canadiens en Chine suscite des doutes en ce qui a trait aux véritables intentions de Pékin.

Officiellement, la Chine évoque un enjeu de santé publique liée à la viande canadienne.

Dans une déclaration publiée sur son site internet et rapportée par La Presse canadienne, l’ambassade à Ottawa affirme que Pékin a pris cette décision parce que près de 200 faux certificats sanitaires de vétérinaires auraient été identifiés dans des produits porcins exportés en Chine.

De plus, selon l’ambassade, les autorités chinoises auraient retrouvé des résidus de ractopamine, un additif alimentaire interdit en Chine.

Or, cette substance est aussi «interdite au Québec et au Canada depuis plusieurs années», a déclaré à RDI Économie Jean Larose, directeur général de l’Association des éleveurs de porcs du Québec.

De son côté, Ottawa admet qu’il y a eu un problème.

La ministre fédérale de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau, a déclaré à La Presse canadienne que l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a déjà «identifié un problème ayant trait à de faux certificats d’exportation, qui pourrait avoir une incidence sur les exportations de produits du porc et du bœuf vers la Chine».

L’ACIA a toutefois implanté des mesures pour régler ce problème «technique» et continue de collaborer avec l’industrie et les autorités chinoises, souligne la ministre Bibeau. Selon elle, seuls les certificats d’exportation à destination de la Chine seraient concernés par cet enjeu.

Le moins que l’on puisse dire c’est que les tensions entre le Canada et la Chine sont devenues malsaines depuis la fin de 2018. Car, en temps normal, le problème «technique» identifié par l’ACIA n’aurait probablement pas entraîné un embargo total sur les importations de porc et de bœuf.

Imagine-t-on le Canada suspendre toutes les importations d’une importante industrie chinoise pour les mêmes prétextes? En réalité, les autorités canadiennes et chinoises tenteraient plutôt de régler rapidement le problème, tout en exerçant une surveillance accrue à la douane pendant quelque temps.

C’est pourquoi il est difficile d’avoir l’heure juste dans les cas de l’arrestation de Michael Kovrig et de Michael Spavor au nom de la sécurité nationale, de l’interdiction des semences canadiennes de canola parce qu’elles seraient infestées de parasites, de même que de la suspension des importations de viande canadienne pour des raisons de santé publique.

Aucun lien entre ces événements et l'arrestaion de Meng Wanzhou? 

Si ces trois événements ne sont pas liés à l’arrestation de Meng Wanzhou au Canada comme le prétend Pékin, eh bien, nous sommes en présence d’un hasard statistique hors du commun, d’autant plus que ces trois événements se sont produits en l’espace de 7 mois.

La cheffe de la direction financière de Huawei, Meng Wanzhou (source photo: Getty)

Vous y croyez, vous, à ce hasard statistique?

Aussi, l’impression assez forte qui se dégage -tant au Canada qu’ailleurs en Occident- que ces trois événements seraient en fait liés à l’assignation à résidence de la dirigeante de Huawei au Canada semble fondée, affirment plusieurs analystes.

Par conséquent, que devrait faire le Canada dans ce contexte?

La porte de sortie la plus simple serait bien entendu que les États-Unis retirent leur demande d’extradition de Mme Meng. Par contre, on voit mal comment la justice américaine pourrait laisser tomber les accusations portées contre elle, à moins bien entendu que de nouvelles informations ne la disculpent.

Par ailleurs, le Canada ne pourrait-il pas relâcher tout simplement la dirigeante de Huawei, comme l’exige la Chine? Plusieurs personnes se posent probablement la question, et cela mettrait fin à la crise diplomatique entre les deux pays.

La réponse est non.

Le Canada est un État de droit dans lequel les pouvoirs policiers et judiciaires ne sont pas aux ordres du pouvoir politique. Ce principe constitue l'un des fondements de la démocratie canadienne et de toutes les démocraties libérales, et ce, des États-Unis à la France.

La Chine communiste a d’ailleurs de la difficulté à comprendre ce principe.

Aussi, c’est pourquoi la diplomatie demeure la meilleure solution pour tenter de dénouer cette crise diplomatique. Or, dans certaines circonstances, la diplomatie a besoin de «muscles» pour donner des résultats.

Depuis l’arrestation de Mme Meng à Vancouver, la Chine a multiplié les mesures de représailles contre le Canada, soulignent les spécialistes.

Bien entendu, Ottawa ne reste pas les bras croisés. Le gouvernement canadien tente de convaincre Pékin qu’il n’est pas ultimement responsable de l’arrestation de la ressortissante chinoise -elle a été arrêtée à la demande de la justice américaine.

Par contre, c’est un dialogue de sourds. Une nouvelle approche est nécessaire. C’est pourquoi Ottawa devrait commencer à monter le ton pour convaincre la Chine de mettre de l’eau dans son vin, ce qui représente tout un défi.

D’aucuns diront que le Canada n’a aucun de rapport de force face à la Chine.

C’est faux.

Ce que peut faire le Canada

Le Canada a un rapport de force, comme du reste il en avait un avec les Américains pour les forcer à laisser tomber les tarifs douaniers sur les importations d’acier et d‘aluminium. Il s’agissait de la ratification de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), un enjeu électoral pour Donald Trump.

Dans le cas des Chinois, le Canada pourrait indiquer qu’un éventuel accord de libre-échange -comme le souhaite ardemment Pékin depuis des années- pourrait être retardé, voire mis aux calendes grecques, si jamais la Chine continue de s’en prendre à ses citoyens et à ses intérêts économiques.

Bien entendu, la Chine continuera d’exporter au Canada sans accord de libre-échange. De 2008 à 2018, ses expéditions de marchandises ont d’ailleurs bondi de 77% pour atteindre 75,6 milliards de dollars canadiens, selon l’Institut de la statistique du Québec.

Par contre, avec une entente de libre-échange, les entreprises chinoises pourraient exporter beaucoup plus facilement au Canada et créer davantage d’emplois en Chine, un enjeu auquel le parti communiste est sensible.

Le président chinois Xi Jinping (source photo: Getty)

Pour exercer une pression sur la Chine, Ottawa peut aussi laisser entendre à Pékin qu’il pourrait limiter l’entrée de certains produits chinois au Canada, à commencer par les appareils électriques pour la téléphonie sans fil, les technologies de l’information et les composants automobiles.

Or, il s’agit des trois principaux groupes de produits chinois exportés au Canada en 2018. Si on les regroupe, leur valeur totalise 18 G$, soit 24% des exportations totales de la Chine sur le marché canadien.

Enfin, ultimement, le Canada a un autre moyen de pression, mais qui serait plus délicat à utiliser, car il implique de limiter les principales importations de la Chine en provenance du Canada, c’est à dire les principales exportations canadiennes dans ce pays.

En 2018, la Chine a importé pour une valeur de 27,7 G$ de produits de toutes sortes, dont la majorité d’entre eux sont constitués de ressources naturelles et de denrées alimentaires.

Par exemple, parmi les 25 groupes de produits les plus exportés en Chine par les entreprises canadiennes, on retrouve de la pâte chimique de bois, des graines de navettes ou de colza, des fèves de soja, du bois scié, du fer et du cuivre.

Comme ces produits sont très en demande en Chine, ils ont donc une valeur stratégique aux yeux des consommateurs, des entreprises et, ultimement, du gouvernement chinois.

L’idée n’est pas de restreindre du jour au lendemain ces exportations canadiennes.

Encore une fois, Ottawa peut simplement laisser entendre à Pékin que ces importations chinoises pourraient peut-être un jour diminuer.

Le Canada n’est pas complètement démuni face à la deuxième économie mondiale. Ottawa dispose d’un rapport de force, comme il a su en trouver un avec les États-Unis.

Certes, un affrontement frontal avec la Chine est contre-productif.

Par contre, une diplomatie économique un peu plus musclée, bien dosée et constante, a des chances de donner certains résultats.

Du reste, cette approche est mieux que la stratégie actuelle d’Ottawa qui ne donne pas de résultats concrets, malgré les efforts de la diplomatie canadienne.

C’est pourquoi il est peut-être le temps de contre-attaquer.

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand