Tension avec l'Inde: peu d'incidence sur nos entreprises


Édition du 11 Octobre 2023

Tension avec l'Inde: peu d'incidence sur nos entreprises


Édition du 11 Octobre 2023

À ce jour, le gouvernement Trudeau a déjà annulé une mission commerciale d’Équipe Canada en Inde, en plus de se retirer des négociations pour un accord de libre-échange, amorcées en 2010. (Photo: 123RF)

ANALYSE. Les allégations de Justin Trudeau selon lesquelles l’Inde aurait commandité l’assassinat d’un citoyen canadien d’origine sikhe, au Canada, a jeté un froid sur nos relations diplomatiques avec ce pays. Toutefois, sur le plan économique, les entreprises canadiennes ont peu de choses à craindre, si l’on se fie à l’évolution de notre commerce avec l’Inde et d’autres marchés en Asie.

Le 18 septembre, le premier ministre a déclaré à la Chambre des communes que l’Inde pourrait avoir «un lien possible» avec l’assassinat, en juin, près de Vancouver, d’un leader sikh, Hardeep Singh Nijjar. Ce dernier, qualifié de «terroriste» par les autorités indiennes, militait pour la création d’un État sikh indépendant dans le nord de l’Inde.

Le ministre indien des Affaires étrangères a qualifié cette accusation d’«absurde».

En entrevue à CTV News le 22 septembre, l’ambassadeur américain au Canada, David Cohen, a indiqué «qu’il y avait un partage de renseignements entre les partenaires de Five Eyes (une alliance composée de l’Australie, du Canada, des États-Unis, de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni) qui a aidé le Canada à faire les déclarations faites par le premier ministre».

Chose certaine, si les autorités canadiennes confirment ces allégations, les relations déjà tendues entre Ottawa et New Delhi se détérioreront davantage. À ce jour, le gouvernement Trudeau a déjà annulé une mission commerciale d’Équipe Canada en Inde, en plus de se retirer des négociations pour un accord de libre-échange, amorcées en 2010.

Plusieurs observateurs affirment que cette crise pourrait avoir un effet négatif sur les entreprises canadiennes actives ou intéressées par l’Inde, d’autant plus si un accord ne voit jamais le jour. Ces craintes sont toutefois exagérées, selon une analyse de Les Affaires sur l’évolution des exportations canadiennes dans les principaux marchés asiatiques depuis 15 ans.

 

Nous exportons davantage aux Pays-Bas

Commençons par le poids de l’Inde, pays de 1,4 milliard d’habitants et cinquième économie mondiale.

Si l’Inde est un partenaire clé du Canada pour contrebalancer l’influence de la Chine dans le bassin Indo-Pacifique, elle n’est pas actuellement un marché stratégique pour nos entreprises, selon les données de Statistique Canada en 2022.

L’Inde est le neuvième marché d’exportation de marchandises du Canada à 5,3 milliards de dollars (G$) en 2022, derrière les Pays-Bas (6,5G$), mais devant la Belgique (4,8G$). Nous y exportons avant tout des hydrocarbures et des ressources naturelles.

Nos exportations en Chine, notre deuxième marché d’exportation, sont cinq fois plus importantes, à 28,7G$ —, et cela exclut exportations de 3,4G$ à destination de Hong Kong, calculées séparément.

Nos expéditions sont aussi plus importantes dans les dix pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE ou ASEA, en anglais), à 9,7G$, un marché de 660 millions d’habitants, en incluant le Vietnam et l’Indonésie.

C’est sans parler de nos exportations au Japon (18G$) et en Corée du Sud (8,7G$), avec lesquels nous avons un accord de libre-échange.

Cela dit, ces ententes ne sont pas une panacée, même si elles facilitent le commerce. Par exemple, depuis 15 ans, les exportations du Canada en Chine ont bondi de 174% sans libre-échange.

Selon une analyse de la Fondation Asie Pacifique du Canada publiée en 2022, un accord entre le Canada et l’Inde stimulerait le commerce bilatéral de 6G$ à 8G$ d’ici 2035 — une valeur qui s’ajouterait en fait à la croissance naturelle des échanges.

Par conséquent, si la crise actuelle devait avoir une incidence sur les entreprises canadiennes actives en Inde, cette incidence serait observable à long terme et se traduirait par des occasions d’affaires manquées et non pas par des contrats perdus.

 

Diversifier et approfondir nos marchés

Elles ont toutefois des options pour limiter ce risque, souligne en entrevue Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur canadien en Chine et aujourd’hui fellow à l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM-UQAM).

Sans renoncer à l’Inde, nos entreprises peuvent diversifier leur marché en Asie, en misant par exemple sur l’ANASE, le Japon ou la Corée du Sud, voire la Chine.

Pour celles qui veulent continuer à miser sur l’Inde malgré la crise, Denna Horton, membre émérite à l’École Munk en affaires mondiales et politiques publiques à l’Université de Toronto, leur suggère de cultiver leurs relations avec les États fédérés indiens.

«Même si les gouvernements locaux ne sont pas à l’abri des tensions politiques à l'échelle nationale, ils donnent souvent la priorité aux occasions commerciales et d’investissement, et peuvent également être plus disposés à examiner les solutions politiques présentées par les entreprises canadiennes», écrit-elle dans un courriel.

L’Inde a une économie très dynamique avec ses forces (une population jeune et en croissance) et ses faiblesses (une infrastructure logistique déficiente hors des grands centres). En 2022, son PIB réel a progressé de 7,2%, selon le Fonds monétaire international (FMI).

Ce n’est toutefois pas le seul marché très dynamique dans le monde. Par exemple, les 54 États de la Francophonie affichent une croissance moyenne du PIB d’environ 7%, selon l’Alliance des patronats francophone (APF), à Paris.

Ainsi, si les tensions avec l’Inde donnent des maux de tête à la classe politique au Canada, elles ne devraient pas trop inquiéter les entreprises.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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