Survivrez-vous au prochain raz-de-marée chinois ?


Édition du 22 Janvier 2020

Survivrez-vous au prochain raz-de-marée chinois ?


Édition du 22 Janvier 2020

Le président chinois, Xi Jinping (Photo: Getty Images)

CHRONIQUE. Made in China 2025. Si cette expression ne vous dit rien, vous devriez rapidement vous y intéresser, car il s'agit du nom d'une politique industrielle chinoise qui pourrait mettre votre entreprise à la rue dans les prochaines années.

Dans les décennies 1990 et 2000, la majorité des entreprises manufacturières du Québec a pâti de la concurrence chinoise dans les produits de faible et de moyenne technologie, et ce, des marteaux aux meubles en passant par les jouets.

Les cimetières sont remplis de PME qui n'ont pas su s'adapter à ce raz-de-marée.

La prochaine vague de concurrence est bien plus dangereuse, car elle vise dix secteurs de pointe qui sont au coeur de la prospérité économique de nos sociétés.

Vous êtes sceptique ? Après tout, nos économies se sont spécialisées dans les produits à valeur ajoutée et de haute technologie, sans parler de la R-D. La liste des dix secteurs prioritaires de la Chine vous convaincra que la menace est sérieuse : 1. Les nouvelles technologies de l'information avancées ; 2. Les machines automatisées et la robotique ; 3. Le matériel aérospatial et aéronautique ; 4. Le matériel maritime et le transport de haute technologie ; 5. Les équipements de transport ferroviaire moderne ; 6. Les véhicules et les équipements électriques ; 7. Les équipements de production d'énergie ; 8. Le matériel agricole ; 9. Les nouveaux matériaux ; 10. La biopharmaceutique et les produits médicaux avancés.

Les deux grands objectifs de la Chine

Pékin a deux objectifs avec Made in China 2025, politique adoptée en 2015.

Le premier vise à faire de la Chine LA puissance manufacturière en matière de qualité, et ce, devant les Américains, les Allemands ou les Japonais. Trois années charnières sont à surveiller :

En 2025, la Chine veut que son industrie manufacturière soit très innovante et très efficace, ce qu'elle n'est pas actuellement.

En 2035, la Chine veut être capable de concurrencer avec les principales puissances manufacturières des pays développés en matière de qualité.

En 2049, la Chine veut être LA puissance manufacturière dominante. Ce sera l'année où le pays célébrera le centenaire de la fondation de la Chine communiste.

Le second objectif vise à augmenter l'autosuffisance de la Chine en matière de haute technologie. L'empire du Milieu réduira sa dépendance aux importations des pays occidentaux, en imposant du contenu chinois dans les produits vendus en Chine (le seuil passera de 40 % en 2020 à 70 % en 2025), un peu comme avec le Buy American, aux États-Unis.

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Les objectifs de Pékin auront deux impacts sur les entreprises. Les produits chinois à valeur ajoutée et de haute technologie inonderont le marché mondial, tandis que les produits des pays développés entreront plus difficilement en Chine - à moins, bien entendu, de les fabriquer dans ce pays.

C'est pourquoi le Made in China 2025 inquiète autant Washington et Berlin. L'origine de la guerre commerciale sino-américaine tient d'ailleurs avant tout à cette politique industrielle chinoise, affirme le Financial Times, de Londres. L'administration Trump la voit comme une stratégie pour acquérir les meilleures technologies des États-Unis, en forçant les entreprises américaines actives en Chine à faire d'importants transferts technologiques pour accéder au marché chinois.

En février 2019, l'Allemagne a quant à elle contre-attaqué au Made in China 2025 en adoptant une stratégie nationale pour 2030, une politique pour protéger ses fleurons nationaux et stimuler l'innovation de son industrie.

Les Allemands ont vécu un traumatisme en 2016 avec l'«affaire Kuka». Fort du soutien financier de Pékin, la chinoise Midea a mis la main sur le champion allemand de la robotique Kuka. Berlin n'a pas pu s'opposer à cette transaction qui s'inscrit dans la politique du Made in China 2025, car la politique chinoise s'appuie notamment sur des investissements et des acquisitions à l'étranger, souligne le magazine Foreign Affairs.

Il n'y a pas de recette miracle pour faire face à la nouvelle concurrence chinoise.

Pour autant, plus une entreprise est productive, innovante, à la fine pointe technologique et à l'écoute de sa clientèle, plus elle est outillée pour y résister.

Québec et Ottawa devraient aussi s'y intéresser pour en faire une priorité nationale, comme aux États-Unis ou en Allemagne. Or, ce n'est pas vraiment sur leur écran radar actuellement.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand