S'inspirer du Japon pour éviter le mur de la pénurie de main-d'oeuvre

Offert par Les Affaires


Édition du 26 Mai 2021

S'inspirer du Japon pour éviter le mur de la pénurie de main-d'oeuvre

Offert par Les Affaires


Édition du 26 Mai 2021

Japon

Le taux d’activité très élevé des 60-74 ans au Japon tient à plusieurs facteurs tels qu’une faible immigration, un faible taux de fécondité, sans parler de la valorisation du troisième âge. (Photo: 123RF)

Les entreprises qui pâtissent de la pénurie de main-d’oeuvre ne sont pas au bout de leur peine. D’ici 2031, le bassin des travailleurs potentiels âgés de 15 à 64 ans, au Québec, va fondre de 40 000 à 56 000 personnes. Pour inverser cette tendance, le Québec devrait s’inspirer du Japon, qui a un formidable bassin de main-d’oeuvre gris (les 60-74 ans) pour l’aider à combler ses besoins sur le marché du travail.

Ce sont Luc Godbout, professeur en fiscalité à l’Université de Sherbrooke, et Suzie St-Cerny, chercheuse à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, qui nous mettent en garde contre cette contraction de 40 000 à 56 000 travailleurs, soit un recul de 0,8 % à 1 %.

Ils l’ont fait dans une analyse publiée en avril par l’Institut de recherche en politiques publiques («Des vents contraires soufflent sur le budget du Québec»). Notre situation est d’autant plus critique que dans les dix prochaines années, la population des 15-64 ans augmentera de près de 525 000 personnes en Ontario (+5,3 %).

Au Québec, le déclin de ce groupe aura une incidence sur la croissance économique.

«Au cours de la prochaine décennie, le bassin de main-d’oeuvre reculera de 0,1 point de pourcentage en moyenne par année», soulignent Luc Godbout et Suzie St-Cerny, en ajoutant que l’immigration pourrait contribuer à atténuer cet effet.

Le Regroupement des entreprises en automatisation industrielle affirme depuis des années qu’il faut aussi automatiser davantage les chaînes de production — aujourd’hui, 73 % des entreprises manufacturières québécoises ont recours à une forme ou une autre d’automatisation, selon l’organisme.

Dans une analyse prébudgétaire publiée en mars, le Conseil du patronat du Québec propose quant à lui d’inclure davantage les «groupes éloignés du marché du travail», et ce, des travailleurs issus des nations autochtones et de l’immigration en passant par les personnes handicapées et les femmes.

 

Un gisement gris

L’économiste émérite d’économie à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal, Pierre Fortin, fait valoir qu’il y a un autre bassin de travailleurs potentiels qui est sous-utilisé au Québec, soit les personnes âgées de 60 à 74 ans.

À ses yeux, le Québec devrait s’inspirer du Japon, où le taux d’activité de ce groupe s’élevait à 50,5 % en 2019, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

À titre de comparaison, en 2019, ce taux s’élevait à 31,4 % au Québec (selon Statistique Canada) et à 35,9 % pour l’ensemble du Canada (selon l’OCDE), démontre une analyse comparative effectuée par Pierre Fortin pour Les Affaires. Le taux d’activité très élevé des 60-74 ans au Japon tient à plusieurs facteurs tels qu’une faible immigration, un faible taux de fécondité, sans parler de la valorisation du troisième âge.

En 2019, le Québec comptait une population active de 472 000 personnes dans ce groupe d’âge. Si le taux d’activité de 50,5 % du Japon s’était appliqué au Québec, la population active s’y serait élevée à 759 000 personnes, soit un bassin théorique supplémentaire de 287 000 travailleurs, selon Pierre Fortin. Pour l’ensemble du Canada, on parle de 905 000 personnes supplémentaires.

Pour autant, viser le même taux que le Japon «n’est pas atteignable par le Canada et le Québec», affirme l’économiste. Et la raison en est fort simple:«Au Japon, les personnes âgées sont vénérées et honorées, alors qu’elles le sont beaucoup moins ici et sont souvent rejetées», dit-il. Par contre, combler la moitié de l’écart de 19 points de pourcentage du Québec avec le Japon serait réaliste, ce qui donnerait grosso modo un taux d’activité de 41 %.

Comment atteindre à terme cette cible ? Il faut convaincre les personnes âgées de 60 à 74 ans de rester sur le marché du travail, et cela passe essentiellement par la fiscalité, a fait remarquer Luc Godbout en entrevue à Les Affaires.

Il faut d’abord bonifier le crédit d’impôt pour la prolongation de carrière, créé en 2012. Entre 2012 et 2019, cette politique aurait permis de créer environ 27 000 emplois en moyenne par année chez les 60 ans et plus, selon une analyse de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

Luc Godbout estime que Québec devrait aussi assouplir les règles du Régime des rentes du Québec. Par exemple, comme en Ontario, on pourrait offrir à un cotisant âgé de 65 à 69 ans le choix entre cesser ou continuer de cotiser au régime quand il gagne encore des revenus de travail.

Certes, la démographie joue contre le Québec, si l’on se compare à l’Ontario. Par conséquent, le gouvernement et les entreprises doivent faire preuve d’audace pour augmenter le bassin de travailleurs.

À commencer par le gisement gris du Québec que l’on peut certainement valoriser davantage.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand