Quand les peurs irrationnelles deviennent un risque

Publié le 30/07/2016 à 09:17

Quand les peurs irrationnelles deviennent un risque

Publié le 30/07/2016 à 09:17

(Photo: Bloomberg)

ANALYSE - Elles sont partout ou presque. Elles se propagent rapidement par les médias et les réseaux sociaux. Les peurs irrationnelles font prendre de mauvaises décisions, ce qui représente un risque pour les investisseurs.

Les craintes entourant une possible élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis sont un bel exemple de ces peurs irrationnelles.

Bien entendu, l'élection du magnat de l'immobilier aurait un impact sur la politique américaine, incluant la politique étrangère du pays.

Aussi, les investisseurs ont raison de craindre son élection, car les États-Unis seraient plus protectionnistes, et ce, dans un contexte où les pays du G20 le sont de plus en plus, selon l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Cette crainte est donc rationnelle et réelle.

En revanche, la peur d'une victoire de Trump devient clairement irrationnelle lorsqu'on compare son ascension à celle d'Adolf Hitler dans les années 1930.

Déclarations xénophobes, attaques personnelles contre ses adversaires, propositions dangereuses pour l'économie... Le candidat républicain ne fait pas dans la dentelle.

Tout le monde s'entend à ce sujet, sauf bien entendu ses partisans.

Cela dit, comparer Trump à Hitler ou le traiter de fasciste est nettement exagéré.

Il n'y a pas de montée du fascime aux États-Unis

Ceux et celles qui comparent les montées en puissance de Trump et de Hitler (voire Benito Mussolini, en Italie, dans les années 1920) font une erreur d'appréciation et manquent de perspectives historiques, disent les historiens.

Non seulement les fondements de la démocratie américaine sont solides (elles comptent de nombreux contre-pouvoirs, beaucoup plus qu'au Canada), mais le contexte des années 1920 et 1930 était fort différent par rapport à celui d'aujourd'hui.

- La Première Guerre mondiale (1914-1918) avait bouleversé l'ordre politique en Europe avec le démembrement des empires allemand, austro-hongrois et russe.

- La révolution communiste en Russie, déclenchée en 1917, faisait trembler la bourgeoisie européenne - qui voyait dans le fascisme une protection contre le communisme.

- La Dépression des années 1930 avait ravagé les sociétés qui n'avaient pas de programmes sociaux pour soulager la misère ouvrière.

- Mussolini et Hitler voulaient instaurer une dictature dans leur pays, car ils méprisaient la démocratie, jugeant ce système inefficace, dégénéré et corrompu.

- Mussolini a réussi quand le roi d'Italie lui a demandé, en 1922, de former le gouvernement, devant ses menaces de prendre le pouvoir par la force avec ses milices.

- Hitler y est arrivé lors de l'élection de 1933, dans un climat de crise politique extrême, notamment provoquée par l'incendie criminel du parlement allemand (des historiens soupçonnent les nazis d'être à l'origine de cet incendie).

Pourquoi cette nuance est-elle importante?

Car si un investisseur est convaincu qu'il y a une montée du fascisme aux États-Unis, et que Donald Trump peut prendre le pouvoir, il pourrait ne pas investir dans ce pays.

Or, cela serait une erreur compte tenu du dynamisme et de la profondeur du marché américain. Et cette situation ne changerait pas même si le controversé milliardaire américain devenait président.

Il n'y a pas de choc de civilisation entre l'Occident et le monde arabo-musulman

Un autre exemple de peur irrationnelle est l'importance que nous accordons aux attentats commis par les partisans de l'État islamique, aussi sauvages et meurtriers soient-ils, comme celui de Nice, en France, le 14 juillet.

Oui, la France est une cible de l'EI. Oui la société française devra renforcer la protection de son territoire jusqu'à ce que cette menace soit contrôlée ou écartée.

Mais ceux et celles qui pensent que nous sommes confrontés à un choc des civilisations se trompent.

Là encore, il s'agit d'une peur irrationnelle.

La France et l'Occident ne sont pas en guerre contre le monde arabo-musulman, mais plutôt contre une organisation terroriste, l'État islamique, qui a une lecture extrémiste de l'islam.

Encore une fois, pourquoi cette nuance est-elle importante? Parce qu'une mauvaise appréciation de la menace terroriste qui pèse sur la France peut inciter certains investisseurs à tourner le dos au marché français.

Une statistique publiée par le magazine Foreign Policy illustre bien à quel point on accorde, aux États-Unis, une importante démesurée au terrorisme par rapport au nombre aux personnes tuées par des armes à feu.

Selon PolitiFact, entre 2004 et 2014, les terroristes ont tué 303 Américains dans le monde. Pendant ce temps, les armes à feu ont fauché plus de 320 000 Américains aux États-Unis, soit 1000 fois plus!

Bref, la menace posée par les armes à feu aux États-Unis est beaucoup, beaucoup plus importante que celle posée par les terroristes.

Voilà pourquoi la crainte du terrorisme aux États-Unis - Donald Trump en a fait son pain et son beurre - est une peur irrationnelle comparativement aux armes à feu.

Or, selon Foreign Policy, le pays dépense des sommes importantes afin de protéger les Américains contre une menace relativement marginale par rapport aux armes à feu que l'on peut acheter partout ou presque.

Bien entendu, Washington a raison d'investir afin de protéger ses citoyens contre le terrorisme. Toutefois, les statistiques montrent qu'ils devraient investir massivement ou légiférer pour les mettre à l'abri des armes à feu.

On le voit bien, comprendre la vraie nature des événements ou des tendances qui font les manchettes, ou qui déferlent sur les réseaux sociaux, est fondamental pour analyser les risques auxquels sont confrontés les investisseurs.

Avoir des peurs rationnelles est légitime. Elles nous permettent après tout de mieux gérer le risque en prenant les mesures d'atténuation appropriées.

Le problème, c'est lorsque ces peurs sont irrationnelles et qu'elles nous conduisent à prendre des décisions d'investissement irrationnelles.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand