Préparez-vous à la révolution néoprotectionniste

Publié le 12/11/2016 à 09:00

Préparez-vous à la révolution néoprotectionniste

Publié le 12/11/2016 à 09:00

Le nouveau président élu des États-Unis, Donald Trump (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE - Au tournant des années 1980, l'élection de Margaret Thatcher, au Royaume-Uni, et de Ronald Reagan, aux États-Unis, a déclenché la révolution néolibérale en Occident. La montée des partis antisystème en Europe, le Brexit et, surtout, la victoire de Donald Trump pourraient bien déclencher à leur tour celle du néoprotectionnisme.

Après la Dépression des années 1930 et la Deuxième Guerre mondiale, le libéralisme avait été marginalisé en raison de la place occupée par les gouvernements dans l'économie. L'Europe de l'Est subissait aussi le joug de régimes communistes.

Ainsi, de 1945 jusqu'au premier choc pétrolier de 1973, l'Occident a connu ce qu'on appelle les «Trentes glorieuses». Cette période a été caractérisée par une forte croissance économique et une amélioration des conditions et du niveau de vie.

L'interventionnisme de l'État était à son zénith et le libéralisme n'avait pas la cote.

Toutefois, la crise économique des années 1970 et l'inefficacité des gouvernements à relancer la machine ont permis un retour en force du libéralisme économique, avec l'élection de Thatcher et de Reagan.

Ils mirent en place des politiques pour libéraliser l'économie, qui ont été ensuite largement adoptées ailleurs dans le monde, notamment au Canada:

-privatisation de sociétés d'État;

-déréglementation des grands secteurs de l'économie;

-réduction des barrières au commerce international (tarifs douaniers, barrières non tarifaires);

-libre circulation des capitaux.

Le libéralisme semble inefficace à relancer l'économie

À l'instar de l'interventionnisme étatique des années 1970, le libéralisme économique se montre aujourd'hui également inefficace à relancer l'économie qui stagne depuis la récession de 2008-2009.

C'est dans ce contexte qu'il faut situer la montée des partis antisystème et antimondialisation en Europe, la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne (le Brexit) et l'élection de Donald Trump aux États-Unis.

Ensemble, ces trois facteurs représentent un mouvement de plaques tectoniques politiques qui risque d'accélérer le retour en force du protectionnisme économique.

Mais on parle ici d'une accélération, car en fait on assiste déjà à une renaissance de ce phénomène dans les principales économies de la planète.

Ainsi, les mesures protectionnistes se sont multipliées dans les pays du G20 depuis la récession de 2008-2009. Et les États-Unis, sous l'administration démocrate de Barack Obama, ont été le pays qui en a le plus adoptées - un peu plus de 600.

Ces deux graphiques tirés d'une analyse de la Financière Banque Nationale parlent d'eux-mêmes.

 

L'élection de Donald Trump ne fera que renforcer cette tendance.

Son programme écorche le libre-échange, dont l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), même si ses cibles sont avant tout le Mexique et la Chine.

Une part importante des Américains qui ont voté pour Trump sont issus de la classe ouvrière (notamment dans des États traditionnellement démocrates comme le Michigan) qui pâtit de la mondialisation depuis une trentaine d'années.

Et cette révolte populaire à l'égard de la mondialisation s'observe partout en Occident.

Comme le souligne avec justesse Le Monde, cette critique porte sur deux grands thèmes, et ce, quelles que soient les singularités d'un pays à l'autre: le contrôle des flux migratoires et les inégalités de revenus.

«Les Britanniques ont voté pour le Brexit sur ces deux sujets. Trump avait prédit que son élection serait un «Brexit à la puissance trois». Il avait raison. C'est aussi une façon de dire que l'Europe n'est en rien protégée du séisme qui vient de secouer Washington», écrit le quotidien français.

Marine Le Pen présidente?

Dans ce contexte, plusieurs élections et référendums seront à suivre dans les 12 prochains mois sur le continent européen:

- en Autriche (décembre 2016)

- en Italie (décembre 2016)

- aux Pays-Bas (mars 2017)

- en France (avril et mai 2017)

- En Allemagne (septembre 2017)

À la suite de la victoire de Trump, plusieurs personnes se posent par exemple cette question: Marine Le Pen peut-elle gagner la prochaine élection présidentielle en France?

La plupart des analystes politiques affirment que c'est impossible, car le second tour permet aux électeurs français de choisir un autre candidat plus modéré, à gauche ou à droite.

Impossible, vraiment?

La plupart des analystes - incluant l'auteur de ce texte - avaient affirmé que Donald Trump ne pouvait pas gagner l'investiture républicaine.

Et quand le magnat de l'immobilier est devenu le candidat du parti (au grand dam de l'establishment), ces mêmes analystes ont martelé qu'il ne pouvait pas devenir président des États-Unis.

On connaît la suite...

Cela dit, même si Marine Le Pen ne gagne pas, le futur chef de l'État - et son parti - devra sans doute s'inspirer des idées protectionnistes du Front national pour espérer prendre le pouvoir et limiter la montée du FN (le premier parti de France) dans les prochaines années.

Et la victoire de Donald Trump vient légitimer en quelque sorte le discours antimondialisation du FN et celui des autres partis antisystème ou populistes en Europe.

Aux Pays-Bas, par exemple, l'extrême droite a des chances de remporter les élections législatives au printemps, selon les plus récents sondages. Le parti nationaliste et xénophobe PVV pourrait proposer de former un gouvernement de coalition, selon la firme suisse Unigestion.

Et, le cas échéant, il est probable que cette coalition adopte des mesures protectionnistes.

Quand le protectionnisme était l'idéologie dominante

Et dans l'histoire économique, le protectionnisme n'est pas l'exception, mais plutôt la norme.

En fait, il a été l'idéologie dominante en Europe occidentale -à l'exception du Royaume-Uni- et aux États-Unis durant une bonne partie du 19e et du 20e siècle.

Les travaux de l'historien de l'économie Paul Bairoch (1930-1999) sont une mine d'or pour comprendre ce phénomène aux États-Unis.

Dans son essai Mythes et paradoxes de l'histoire économique, il explique que l'histoire commerciale américaine a été protectionniste du début du 19e siècle jusqu'en 1945.

Le graphique suivant en témoigne bien (les statistiques proviennent de l'essai de Bairoch).

Après la Deuxième Guerre mondiale, la création du GATT (Accord général sur les tarifs et le commerce) en 1948 a permis de réduire graduellement le protectionnisme.

En 1995, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) devait prendre le relais du GATT pour libéraliser davantage le commerce international. Or, le présent cycle de négociation multilatérale de Doha (lancé en 2001) est un échec.

C'est pourquoi plusieurs pays, dont le Canada, se sont tournés vers des accords de libre-échange bilatéraux. Le traité avec l'Union européenne - qui n'est pas encore en vigueur - en est un bon exemple.

Or, même ces accords bilatéraux sont de plus en plus dénoncés en Europe et en Amérique du Nord.

Cette critique contre le libre-échange tient à plusieurs facteurs. Par contre, la concurrence manufacturière de la Chine figure parmi les plus importants, surtout chez nos voisins américains.

Les importations de produits chinois aux États-Unis sont d'ailleurs responsables de la perte de 2,4 millions d'emplois de 1999 à 2011, selon une étude du Massachusetts Institute of Technology (MIT).

Et plusieurs de ces travailleurs au chômage n'ont pas réussi à trouver un emploi aussi bien payé qu'auparavant en raison de leurs compétences limitées.

Cette situation explique pourquoi le libre-échange est maintenant devenu l'ennemi à abattre aux États-Unis. Et pourquoi Donald Trump a pu gagner la course à la Maison-Blanche.

Le discours en faveur du libre-échange ne passe plus

La plupart des économistes vantent les vertus du libre-échange, surtout pour les petites économies comme le Québec. Il a aussi permis à des centaines de millions de personnes de sortir de la misère dans les pays émergents.

Mais s'il fait des gagnants, le libre-échange fait aussi des perdants, ici, dans les pays industrialisés, au sein des secteurs à faible valeur ajoutée et à faible productivité, longtemps protégés par des tarifs douaniers.

Et c'est la voix des perdants de la mondialisation qui se fait de plus en plus entendre en Occident.

Et comme les partis sociaux-démocrates ne les ont pas assez écoutés depuis des années (en Europe et aux États-Unis), les perdants de la mondialisation se sont tournés vers les politiciens qui les écoutent ou qui prétendent les écouter.

Et leur message est simple: assez de mondialisation!

Et même si des études montrent les bienfaits du libre-échange (prix à la consommation plus faible, productivité plus élevée, meilleur transfert technologique, etc.), le message passe de moins en moins dans l'ensemble de la population.

Aussi, à moins d'un revirement spectaculaire, ce scepticisme est donc là pour rester dans un avenir prévisible. Bref, nous changeons de paradigme.

La mondialisation heureuse est terminée.

Le commerce international n'est pas mort pour autant, loin de là. Les entreprises continueront à exporter et à importer. Mais elles le feront sans doute dans un marché mondial moins libéralisé.

Bref, nous assistons en quelque sorte à un retour du balancier.

Êtes-vous prêts à la révolution néoprotectionniste?

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand