Préparez-vous à la Russie de l’après-Poutine

Publié le 17/02/2018 à 06:00, mis à jour le 19/03/2018 à 10:34

Préparez-vous à la Russie de l’après-Poutine

Publié le 17/02/2018 à 06:00, mis à jour le 19/03/2018 à 10:34

La président de la Russie Vladimir Poutine (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Vladimir Poutine a été réélu ce dimanche à la présidence de la Russie pour 6 ans. Le leader de 65 ans se représentera-t-il en 2024? Difficile à dire. Chose certaine, le monde commence à se préparer tranquillement à l’après-Poutine et à la période d’incertitude qui suivra.

Vladimir Poutine est au pouvoir (comme président, premier ministre et président par intérim) depuis 1999, soit près de 20 ans. Ce qui fait de l’ancien officier du KGB (les services secrets soviétiques) et maire de Saint-Pétersbourg le leader qui a été le plus longtemps à la tête de la Russie depuis Léonid Brejnev, qui a dirigé l’ex-Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) de 1964 à 1982.

Même si des élections se tiennent en Russie, elles sont loin de respecter les critères de celles dans les pays occidentaux. Lors de la dernière élection présidentielle de 2012, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a dénoncé plusieurs «irrégularités».

Le pouvoir contrôle la plupart des médias. Les autorités harcèlent, voire emprisonnent, souvent des opposants au régime. L’opposition est désorganisée, sans parler de son manque de ressources.

Autre enjeu de taille, souligne le quotidien britannique The Independent : si Vladimir Poutine quitte le pouvoir, qui peut bien prendre sa place?

Certes, des noms circulent, comme Dimitri Medvedev, l'ancien premier ministre et président de la Russie (de 2008 à 2012), et Sergueï Sobianine, le maire de Moscou.

Ce sont toutefois deux alliés de Vladimir Poutine.

La continuité ou la fin du «poutinisme»?

Un éventuel départ du chef du Kremlin soulève aussi un enjeu plus fondamental : à quoi ressemblera la Russie de l’après-Poutine?

Deux scénarios sont plausibles, selon le quotidien britannique The Guardian.

Le premier est le maintien en place du «système Poutine» ou du «poutinisme».

L’oligarchie au pouvoir contrôle encore l’économie et la politique. La politique étrangère de Moscou ne change pas; la Russie continue d’avancer ses pions dans sa zone d’influence en Europe orientale et au Moyen-Orient.

Dans le second scénario, on assiste à la fin du poutinisme.

Là, on entrera dans l’inconnu, car la fin de ce régime pourrait provoquer une rupture en Russie. Le système deviendrait-il plus démocratique? La Russie se rapprocherait-elle de l’Occident? Quelle serait la politique étrangère du pays?

Peu importe le scénario, le pays fait face à des défis socioéconomiques majeurs, font remarquer les spécialistes

1.La croissance économique est en déclin

Depuis la récession mondiale de 2008-2009, le PIB russe a perdu de sa vigueur en raison de l’effondrement du prix des hydrocarbures et des sanctions économiques imposées à la Russie après l’annexion de la Crimée (une région de l'Ukraine), en 2014.

2.La population diminue rapidement

Les projections de l’Organisation des Nations Unies (ONU) montrent que la population de la Russie pourrait descendre à 101 millions d'habitants en 2050. Cette situation mine le potentiel de croissance économique du pays.

Cela dit, d’autres éléments vont bien ou s’améliorent.

3.Les coûts d’emprunt du gouvernement russe diminuent

Depuis 2015, les taux des obligations 10 ans ont fondu de moitié pour s’établir à 7%. Le gouvernement peut donc emprunter plus facilement pour investir.

4.La Bourse russe va bien

Depuis le creux de la récession de 2008-2009, l’indice MICEX de la Bourse de Moscou a été pratiquement multiplié par quatre à 2 255 points.

Dans ce contexte, s’exposer au marché russe à long terme peut être compliqué pour les investisseurs, notamment en raison des restrictions dans certains secteurs stratégiques comme l’énergie.

La Russie se classe d’ailleurs au 35e rang sur 190 pays pour la facilité d’y faire des affaires selon le dernier classement Doing Business 2018 de la Banque mondiale.

Par contre, la Russie devance des pays comme le Mexique (49), la Chine (78) et le Brésil (125). De plus, la situation s’améliore. La Russie se classait au 40e rang dans le DB 2017 et au 51e rang dans le DB 2016.

Comment investir en Russie

Quelles sont les meilleures stratégies pour investir en Russie? Nous avons posé la question à Serge Pépin, stratège d’investissement actions européennes et analyste de recherche chez BMO Gestion mondiale d’actifs.

Il souligne d’emblée que la situation politique de la Russie et sa politique étrangère «préoccupent» les investisseurs depuis un certain temps.

«Les sanctions économiques et financières imposées par plusieurs pays afin de répondre à l'invasion militaire russe de l'Ukraine en 2014 ont également marginalisé les investisseurs», indique-t-il.

Si la Bourse russe fait bien depuis la crise de 2008-2009, elle a toutefois moins rebondi que d'autres marchés émergents.

«Au cours des 12 derniers mois jusqu'à la fin janvier, le marché boursier russe, tel que mesuré par l'indice MSCI Russia en dollars canadiens a progressé de 12,7%, beaucoup moins que plusieurs autres marchés émergents (33,2%) et notamment d'autres marchés boursiers d'Europe de l'Est (21,0%)», souligne Serge Pépin.

Par ailleurs, le marché russe regorge d’aubaines pour les investisseurs.

Actuellement, la Russie se négocie à des valorisations les moins chères du monde. Le ratio cours/bénéfice moyen est de 8.16 par rapport à un ratio de 13.03 pour l'indice MSCI Emerging Markets.

Par contre, le marché russe est peu diversifié, note Serge Pépin.

À lui seul, le secteur de l’énergie compte pour 48,43%. À la Bourse de Toronto, l’énergie pèse seulement pour 18,89%.

«Par conséquent, le marché russe dépend beaucoup du prix du pétrole brut et de la direction et du niveau des taux d'intérêt» affirme-t-il.

L'industrie de l'énergie représente près de 50% des exportations de la Russie. Par conséquent, investir en Russie, «c'est investir dans le cycle des matières premières, compte tenu de la composition du marché des actions et de l'économie du pays».

Comment les investisseurs peuvent-ils s’exposer au marché russe, et ce, en fonction de leur tolérance au risque?

Investir directement est difficile (acheter des actions à la Bourse de Moscou, par exemple), coûteux et pas recommandé, selon Serge Pépin.

C’est pourquoi il recommande d’investir dans les titres de grandes entreprises russes qui sont cotées aux États-Unis, à la Bourse de New York ou au Nasdaq, telles que Aeroflot (aviation), Gazprom (énergie) ou Moscow City (télécommunications).

On peut aussi investir en Russie via des fonds négociés en Bourse comme le iShares MSCI Russia.

Selon Serge Pépin, il est difficile d’investir en Russie uniquement avec des instruments financiers canadiens. Cela dit, il est par exemple possible de la faire avec le BMO Fonds des marchés en développement, qui a une pondération de 8% en Russie.

Il s’agit de Magnit PJSC, la plus grande chaîne de supermarchés à escompte (hyper supermarché) en Russie.

La Russie demeurera toujours un pays relativement risqué pour les investisseurs, soulignent les spécialistes.

Le système Poutine demeurera en place au moins d’ici la prochaine élection présidentielle en 2024. Et, selon certains analystes, il est possible que Vladimir Poutine se représente à cette élection.

Il serait alors âgé de 71 ans, l'âge du président américain Donald Trump à l'heure actuelle.

Chose certaine, les spécialistes affirment qu’il faut se préparer tranquillement à la fin de l’ère Poutine, sans parler du bouleversement géopolitique que cela pourrait entraîner dans ce pays clef et stratégique de l'Eurasie.

L’êtes-vous?

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand